– En ligne de mire, le Festival de poésie de la foi de Cannes, « Palmes et psaumes », par Yves Ughes

Quand on dit « tout naturellement », c’est dire vite car dans les faits notre action dans le monde relève – selon moi – de deux mystères qui nous placent au coeur de notre condition. 

            D’une part, nous parlons. Nous écrivons. Ce qui, si l’on se dégage de l’habitude, souligne avec force l’originalité de l’être humaine, cet animal parlant. Que faire avec le langage, quel rôle peut-il jouer dans notre vie de Chrétien, individuellement et collectivement. 

            Que dire d’autre part de la foi qui nous porte et de la grâce qui nous est donnée, comment percevoir l’Amour de Dieu, s’ouvrir à Lui ? Blaise Pascal le disait déjà en son temps : « Il y a loin de la connaissance de  Dieu à l’aimer »[2]

Pour avancer dans le monde, nous avons besoin de creuser ces deux mystères, sachant que ces domaines sont infinis. Le culte, les études bibliques et les actions de notre Église sont des moments privilégiés pour tenter de mieux dire et de mieux « comprendre ».

Le Festival « Poésie de la Foi » est une autre forme de ces moments clés. Personnellement j’ai vécu les quatre sessions auxquelles j’ai participé comme d’intenses rencontres qui mettent en oeuvre trois données fortes : l’approfondissement, l’élargissement et une synergie chaleureuse. 

            Le Festival présente toujours un programme dense. Chaque intervenant se doit donc de respecter le temps qui lui est attribué. C’est une contrainte féconde car elle nous demande pour paraphraser Pascal – encore lui – de prendre le temps de faire court. 

Toutes les interventions sont ainsi l’occasion donnée de creuser un sujet de prédilection: l’éventail se déploie amplement et d’une façon variée. Le lien commun étant un recours permanent aux textes, à leur interprétation, à leur mode de création, aux parcours qu’ils dessinent. 

Durant la journées l’occasion nous est donnée de creuser, d’approfondir ce qui nous anime. Il ne s’agit pas de mettre d’une façon mondaine des mots sur des mots, mais d’aller toujours plus avant dans le domaine de cette création artistique qui fait écho à la Création, domaines infinis s’il en est.

            Cette approche de la Poésie de la Foi s’inscrit pleinement dans notre culture protestante, de même qu’elle a la volonté d’inscrire une dimension protestante dans la culture. Loin d’être une rencontre repliée sur un passé embaumé, ces moments d’échange participent d’un élargissement de notre horizon culturel et cultuel. Lire des auteurs du xvie siècle par exemple nous projette dans un temps où la foi et la poésie s’interpénétraient tout naturellement. Découvrir le parcours d’un poète contemporain nous permet de mieux comprendre comment la poésie crée les conditions d’une perception de la foi, en nos profondeurs, et travaille à son émergence. Et, comme il n’est pas de chemin tout tracé ni obligé, nous découvrons la diversité des voies poétiques qui croisent les chemins de la foi : des textes ramassés à d’autres plus lyriques, des haïkus aux cheminements personnels, tout se déploie pour élargir notre appréhension de deux mystères évoqués ci-dessus. 

            Il nous faut enfin souligner avec force que ces jours d’étude ne cultivent en rien l’austérité ni le grave savoir. La diversité des intervenants, mais également des supports crée une programmation festive. Des groupements de textes sont ainsi lus à plusieurs voix, sur Jonas, sur la Création. Avec des incursions dans la littérature contemporaine (Jean Alexandre[3], De Dadelsen) et un détour par un extrait de pièce de théâtre (Allo Bybol![4]).  Un autre volet particulièrement convivial se présente sous la forme d’un atelier d’écriture, à partir de textes déclencheurs tirés des Évangiles. Ces ateliers permettent de découvrir, en toute simplicité et pleine confiance, ce qu’est la poésie. Et ils mettent à la disposition des participants les outils pour se réapproprier cette pratique de la langue. L’art musical occupe également une place importante ; le piano et le violon interviennent avec virtuosité non pas comme une simple ponctuation mais comme des instants des plages d’émerveillement. 

Tout ceci n’est possible que si une équipe se constitue au gré des années et des rencontres. Un noyau s’est ainsi créé autour des Éditions Jas Sauvages, les échanges vont en se multipliant et les retrouvailles sont toujours chaleureuses. 

Quand le rideau tombe ; nous avons conscience d’avoir vécu des échanges qui vont nous habiter dans les mois qui viennent. Une façon comme une autre de prendre date, et de commencer à travailler pour la prochaine mise en œuvre 

Tant il est vrai, comme l’affirme Christian Bobin, que « ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour [5] ». 


Illustrations: Jacqueline Assaël

[1] Albert Camus, Discours de Suède. 

[2] Blaise Pascal, Pensées.

[3] Jonas ou l’oiseau de malheur

[4] Jacqueline Assaël, Annie Coudène, Allo BybolÉditions Jas Sauvages.

 [5] La part manquante.

– Lecture impressioniste de Nouaison, par Alain Piolot

Premier poème du recueil Nouaison :

Alain Piolot :

Et Nouaison ? Dans votre avant-propos, vous écrivez, « Nouaison apporte la suite d’un recueil précédent, intitulé Frère de silence, qui n’avait pas encore trouvé sa vraie fin. » Pour vous, c’est fait, avec Nouaison.

J’ai relu la fin de Frère de silence :

et les deux superbes dernières lignes : 

Douleur, donc grâce ?

Dans Nouaison, ah ! les jonquilles ! Quel contraste avec la fin du recueil précédent :

Vous êtes chez vous.

« Les brumes du Mézenc », « les infimes saxifrages »… hymne à la Nature et donc, pour vous, à Dieu. Terre, terroir, éternité… présence divine.

Et cette légèreté : « Elle montait en osmose », « les orgues basaltiques ». Et à la Croix-de-Peccata : « libertés acquises et quiétudes apaisées ». Oui, Frère de silence n’avait pas trouvé sa vraie fin. Mais sans lui, Nouaison n’aurait pas vu le jour…

La lumière, la vie, connaître, reconnaître… Les lieux familiers apportent toujours quelque chose de nouveau.

« Il » n’est plus là. Il ‘est pas loin. Heureux de cette liberté qui est en elle.

L’émotion est là, palpable.

Et à Mazet-Saint-Voy… quel beau voyage : « Légère / Et presque désinvolte », … « les grillons », « la soie des lilas ». Être en paix avec soi-même ?

p. 24 : 

« Il » est là. N’y a-t-il pas de l’affection, de la tendresse, si je peux dire, entre Nouage et Nouaison ?

p. 33 : On revient à une belle simplicité : 

Et là :

Frère de silence n’est pas loin.

Retour à la beauté, retour à Chaudeyrolles et ces fleurs intimes :

On revient à Dieu (pour un apaisement ?).

Et puis Isaac : « Le cœur en ligature » et curieusement des mots anglais : « hold up » et puis « again » pour la vallée de l’Eyrieux. Mais, bon !, ce ne sont pas des anglicismes…

Les jonquilles, encore et toujours. Les saxifrages reviennent, et la proximité de Dieu.

Belle conclusion :

Dénouement du temps.

Et comme vous aimez tant ce paysage qui vous est familier, alors Dieu est proche :

Je suis à ma deuxième feuille. Nouaison. 

L’Essai dans un prochain courrier de novembre…

Dernier poème du recueil Nouaison :

– « Retenir encore un peu de la beauté », par Gérard Scripiec

Photographie: Jacqueline Assaël

Jacqueline Assaël : Je suis contente que dans votre réponse précédente vous ayez mis l’accent sur l’association que vous faites souvent entre la beauté et la poésie. Lors de la rencontre au cours de laquelle vous aviez été invité à présenter votre œuvre, en avril dernier, à la médiathèque de Sainte-Foy-La-Grande, vous déclariez modestement vouloir offrir quelque chose de « joli » à travers vos poèmes. Je pense que les deux notions : le beau et le joli peuvent effectivement être mises en relation avec votre processus d’écriture. Le joli, parce que vos textes intègrent des images de charmants petits éléments du réel, fleurs, animaux, etc. Mais ce procédé n’a rien de mièvre car l’ampleur du souffle poétique dans lequel vous saisissez et portez ces évocations vous fait atteindre la beauté. Cette beauté m’apparaît comme celle d’un vaste et puissant projet pour le monde qui consiste à sauver, au moins par l’attention que le poète leur donne, cet aspect de la création. Chez les artistes, le beau est souvent bizarre, sinon toujours, comme l’affirme Baudelaire. Pour votre part, vous trouvez la beauté dans les formes les plus simples de la nature. Pourriez-vous expliquer davantage comment et pourquoi cette esthétique vous paraît essentielle pour préserver la vraie consistance de la vie et quel espoir vous placez en elle, au moment où le monde semble prêt à piétiner toute forme de beauté ?

Gérard Scripiec : Au Psaume 131 il est écrit: « Mon coeur est sans prétention, mes yeux n’ont pas visé trop haut. » Je pourrai paraphraser le psaume et dire: ma poésie est sans prétention elle ne vise pas trop haut. Elle veut juste porter en elle une parole qui soit belle au cœur de ces discours qui sont violents de multiples violences. Recueillir encore la beauté (« retenir un peu de la beauté »). Bien sûr il s’agit de celle de la nature autour de nous, maltraitée, fragile. Et regardant la nature, non pas faire discours mais faire poésie pour dire les mots des fleurs et des oiseaux. Mais ce qui est en jeu aussi dans le monde où je vis c’est la vie des plus fragiles, c’est l’injustice qui frappe les plus faibles, c’est l’homme blessé au bord du chemin. Toujours mon poème va vers elles, vers eux. Les paroles violentes, orgueilleuses du monde sont sans pitié pour les plus petits, notamment pour les enfants. Le monde qu’elles portent n’est pas pour eux.  Voilà tout cela n’est pas « joli »; ou alors si en lisant nous le pensons, que ce « joli », qui est risible, soit pour nous le précieux qui nous fait vivre encore. Ou on le reçoit, ou on referme le livre doucement. Reste le « souffle poétique » ce désir plus fort que soi d’écrire. Ce désir plus fort que soi de transmettre l’émotion que nous ressentons. Ce désir plus fort que soi de trouver les mots et de les ajuster, de les mettre en valeur. Reste le « souffle poétique » qui nous invite à rechercher humblement la présence de Dieu lorsqu’il fait signe dans la prière, dans le silence, sur les visages courageux et simples. Reste le « souffle poétique » comme un appel à aller de l’avant pour comprendre un peu plus encore et recevoir un peu plus encore  le Christ.

Parole qui nous fait vivre. J’avais en moi, cette parole enfouie, elle revient aujourd’hui. Voilà c’est tout, et c’est tout simple.

– « Écrire, oser écrire ! L’écriture est une joie », par Gérard Scripiec

Gérard Scripiec, auteur de Il existe une faim, recueil de poèmes paru aux Éditions Jas sauvages en 2022 nous confié une nouvelle série de textes à propos desquels nous avons engagé un nouveau dialogue. Après un premier article mis en ligne le 16 octobre 2023 sous le titre: « Peut-être que la poésie est un dépouillement jusqu’à la beauté… », vous trouverez ci-dessous la suite de cet entretien et un autre de ses poèmes.

Écrire, oser écrire !

L’écriture est une joie.

« Un brouillard d’étamines » (Photographie: Jacqueline Assaël)

Jacqueline Assaël: Dans un article précédent, vous écrivez : « Le poète recherche et apprend une parole humble. » Toutes vos références sont alors directement chrétiennes, – ce qui n’étonnera pas de la part d’un pasteur –, que ce soit à la personne de Jésus-Christ ou aux Écritures, spécialement les épîtres de Paul. Cependant, dans vos textes, les représentations sont autres, – ce qui n’étonnera pas de la part d’un poète. Yves Ughes a l’habitude de dire que, dans ce cas, la pratique ne consiste pas à « illustrer » une doctrine avec des mots traditionnels trop connus, mais à inventer son propre langage, pour exprimer ses expériences personnelles. En l’occurrence, la recherche et l’apprentissage que vous évoquez se situent dans la poursuite d’une silhouette féminine qui se dérobe et s’évanouit à la vue. Nous avons évoqué ensemble l’identité de ce personnage furtif, dans l’entretien qui suit votre recueil Il existe une faim : pour vous il représente la Poésie, si l’on peut résumer le propos en un mot. À travers vos nouveaux textes comme à travers les précédents, l’évanescence de cette figure semble engager le poète sur une voie sans repère. Votre « chanson devancière » ne ressemble guère à la Muse qui dans la tradition littéraire assiste les poètes d’une présence qu’ils ressentent comme distincte. Pour vous, dans la création littéraire, il s’agit de répondre à un « appel où nul n’invite » (p. 1) et la silhouette que vous percevez « brode l’obscur devant [vos] pas » (p. 5). Une image revient aussi, entre les poèmes de votre recueil et ces nouveaux poèmes, celle de la boussole inutile : « Aucun chemin aucune trace / Aiguilles bloquées aux boussoles » (Il existe une faim, poème 1) et dans la nouvelle série : « Rien non plus aux boussoles pour ouvrir notre route » (poème 13). Ces expressions résonnent comme par contraste avec le langage chrétien selon lequel le Christ invite à sa table, répand la lumière et se présente comme le chemin. Dans ces conditions, comment la foi et l’expérience poétiques se concilient-elles ? Est-ce que pour vous elles s’adressent à des facultés humaines de connaissance qui sont différentes ? L’enseignement du Christ est un Logos, une Parole qui peut être saisie par tout l’être, mais aussi être comprise rationnellement. La magnifique prière que vous adressez à cette entité féminine furtive concerne plutôt un éveil des sensations : « Parle nos vies / Rythme-nous comme bat le pouls au poignet. » Est-ce là la seule différence essentielle, selon vous, cet écart entre l’intellect et la sensation ou en définiriez-vous d’autres ? La sensation permet-elle d’atteindre une dimension transcendante ? Et en quel sens l’expérience poétique, si elle est sans repères autre que les impressions reçues d’une contemplation de la nature et de la beauté, peut-elle être envisagée et formalisée comme un apprentissage en tant que tel ? 

Gérard Scripiec: Yves Ughes a raison « la pratique ne consiste pas à illustrer une doctrine avec des mots traditionnels trop connus, mais à inventer son propre langage pour exprimer ses expériences personnelles. »  

Bien sûr les mots de la Bible sont là en transparence, j’en suis trop nourri pour ne pas les voir affleurer ici où là dans ce que je porte. « La chanson devancière » s’inspire de « il vous précède », le poème sur « l’ombre » est quête de « il est ton ombre à ta main droite », je cite ailleurs texto ces paroles qui sont pour moi fondatrices « j’entends une voix qui m’est inconnue », je cite presque mot pour mot « il ne brisera pas le roseau cassé, il n’éteindra pas la mèche qui brûle encore », il y a un poème sur l’histoire de Noé… Et c’est vrai, je tente un langage qui ne soit pas reproduction du langage biblique, ou d’un langage théologique, une répétition des mots de la Bible, de la dogmatique biblique « illustrer une doctrine avec des mots convenus » et même un autre langage que celui de la prédication. Je prends des risques pour oser une parole qui est ma parole, enfin j’espère… Et d’ailleurs je n’en revendique aucune autorité.

Je n’aime pas trop les mots « expériences personnelles », mais je les accueille quand même. Si expériences personnelles veulent dire un poète face à la beauté, mais aussi face à la douleur de la vie, face à l’engagement au quotidien : Tous les langages sont possibles pour exprimer cela, pourquoi pas le langage poétique.

Rien ne le légitime, il est trop subjectif diront les uns, les poètes sont des rêveurs diront les autres, rien de normatif, on ira chercher des interprétations « psychanalytiques » souvent improbables… Et c’est vrai, on est toujours prudent face à ce qui est subjectif, on suspecte ce qui est de l’ordre de l’émotion. Mais la poésie n’a aucune prétention, aucun pouvoir.

La poésie serait alors de l’ordre de la prière, prière pour dire « merci », prière pour dire « je te cherche », prière comme une intercession portant l’ami et le monde, prière comme une révolte aussi, comme un cri. Le poète est un intercesseur. Il porte (avec d’autres) « le chant du monde », comme le dit Giono

Alors on écrit avec les mots qui nous ont accompagnés et qui viennent de nos mémoires d’enfants souvent, ou de nos lectures, ou de nos rencontres. Des mots qui tentent de dire ce que nous ressentons, ce que nous voyons, ce que nous pensons. La beauté de la nature, la peine de l’ami, un regard sur le monde où l’on vit.

Un ami poète me parle de « carrières de mots » où il va puiser pour écrire, moi j’ai employé « brouillard d’étamines » pour avoir à l’esprit l’image des fleurs que l’on disperse, pour avoir à l’esprit les multiples mots offerts au souffle, j’ose employer comme René Char le mot étincelles qui dit bien cette incandescence alors que le fer du poème est frappé sur l’enclume, envolée de mots étincelles. Alors avec sa sensibilité, son regard, sa perméabilité, sa perception de la beauté, son écoute de la souffrance, sa révolte légitime, sa vocation d’intercession… là même où nous ne pouvons mettre des mots… écrire, oser écrire ! L’écriture est une joie.

Je dois le dire : il me semblait urgent avec mes pauvres mots de retenir encore un peu de la beauté dans ce temps où rien n’est acquis de durée, ni écologique ni humaine. Il me semblait urgent de dire aussi que les langages d’aujourd’hui, les langages de tous les jours, fabriquent un monde dur, impitoyable, sans issue, et ce n’était pas être imprécateur que de le dire et je voulais encore retenir cette terre possible de la vie. J’ai toujours pensé que les mots, la parole créaient le monde alors je crois (naïvement) que je peux encore retenir l’essentiel et mettre un peu de sa lumière dans l’obscurité et pourquoi pas redonner le monde fraternel que je porte.

J’aime ce qui ne s’impose pas, ce qui n’emprisonne pas de certitudes, de pouvoir, de savoir, d’orgueils… la poésie laisse libre l’auditrice, l’auditeur. Et c’est peut-être ce champ ouvert de compréhensions qui est la quête du poète, ce champ ouvert de liberté. Les Haïkus portent cela qui en peu de mots ouvrent à la joie. 

Je cherche cette présence de Dieu, je la cherche dans la nuit, dans le silence, dans ce qui nous frôle, au cœur de l’ombre, sur la buée… Ne cherchez plus le féminin qui vous tourmente tant, il est là : la Présence. Et je la cherche dans ce qui n’est pas défini, dans ce qui est éphémère, dans ce qui ne se laisse pas nommer, voix inconnue dit le psaume, manne qui s’épuise au soir, nuée précédant au désert, feu qui ne consume pas, murmure ténu devant la grotte d’Élie… Poésie, prière, présence, parole…, mots féminins s’il en faut encore… Et par-dessus tout, je la cherche en Christ qui n’a rien écrit, sauf sur le sable d’une place. 

De la même manière qu’il n’y a pas de différence pour moi entre Pasteur et Poète, il n’y en a pas entre rationnel et expérience, intellect et sensation. Le cœur biblique n’est pas « un cœur partagé », l’anthropologie biblique unifie l’humain là où la grecque peut sans doute la diviser entre corps et âme, entre esprit et corps, entre mortel et immortel. Dans le Temple de Saint-Agrève lorsque nous étions enfants, nous baissions la tête lorsque le Pasteur disait « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, de toute ta pensée et ton prochain comme toi-même »… Tout en nous était concerné par cet amour à vivre et à vouloir « que tout en moi bénisse le Seigneur ». L’Épitre de Jacques unit Poète et Parole en disant « mettez en pratique la parole » Γίνεσθε δὲ ποιηταὶ λόγου, littéralement cela peut se traduire par « soyez poètes de la parole », fabriquant de la parole, -et, je le dis avec respect-, faites la parole, artisans d’Évangile! Le travail exégétique n’est pas seulement celui du texte de la Bible, mais aussi celui de la vie rencontrée. Tenter de comprendre les articulations des gestes et des mots, des regards et des actions…, non comme un psychanalyste (sans en chercher d’emblée les impitoyables et improbables mécanismes) mais au contraire pour en révéler l’espérance, pour en souligner le possible, pour y discerner et recevoir l’Évangile promis, pour mettre en actes ce qui nous fait vivre. Le poète est un témoin.

Gérard Scripiec

– « Peut-être que la poésie est un dépouillement jusqu’à la beauté… », par Gérard Scripiec

Gérard Scripiec, auteur de Il existe une faim, recueil de poèmes paru aux Éditions Jas sauvages en 2022 nous confié une nouvelle série de textes à propos desquels nous avons engagé un nouveau dialogue. Vous trouverez ci-dessous deux de ses poèmes et le début de ce nouvel entretien.

Jacqueline Assaël : « Gérard Scripiec, un mot revient souvent dans vos textes, comme une condamnation rédhibitoire du monde des humains : il s’agit de la notion d’orgueil. Souvent vous semblez imputer ce défaut profond à des catégories d’êtres qui, à vos yeux, interdisent l’éclosion d’une vérité de la vie. Ce type de propos vous fait apparaître comme une espèce d’imprécateur. C’est le mot que j’avais employé lors du dernier Festival de Marseille, en présentant un aspect de la tonalité de vos poèmes (« Joug de mots et de mondes orgueilleux » ; «  Nous nous éloignerons des rades orgueilleuses » ; «J’opposerai alors aux tempêtes d’orgueils » ). On se demande d’où vient la position privilégiée du poète qui lui permet de s’extraire de cette mauvaise compagnie. Mais dans certains cas, vous endossez aussi le reproche: («  mes soleils orgueilleux » ; «   nos orgueils fous » ). Faut-il entendre dans votre poésie les termes d’orgueil et de « monde», exactement dans le même sens que dans la théologie chrétienne où l’inclination mondaine et le péché sont universels? Si le poète peut s’évader à certains moments de cette condition, d’où vient cette liberté qui lui appartient en tant que tel, en tant que dépositaire des mots ? Subsidiairement, la sensibilité humble qui s’oppose aux orgueils que vous fustigez se développe essentiellement au contact de la nature et d’une forme de ruralité. On reconnaît dans ces textes vos paysages de prédilection, même si, à la différence des poèmes de Il existe une faim, vous n’introduisez pas d’indications géographiques précises. Est-ce que, pour vous, le cadre urbain représente une tentative de prendre une possession géométrique du terrain, où l’on perd le sens du vrai ? Je pense à la réflexion de Jacques Ellul qui reconnaissait la ville comme le lieu de la fraternité humaine agréé ultimement par Dieu à travers l’image de la Jérusalem céleste.»

Gérard Scripiec : « En fait, je ne savais comment qualifier le monde autour de moi, par monde j’entends le monde réel, le récit de ce monde d’aujourd’hui, ce que j’ai devant les yeux, les paroles entendues, les enjeux pressants, les défis impossibles. Mais je vois aussi les visages: ceux des femmes humiliées, des enfants qui ne comptent guère, des hommes hautains, violents, des peuples déplacés, bref une humanité qui pèse peu sur le plateau de la balance, l’autre plateau lourd d’argent, de pouvoir, de cynisme, d’armes, de destructions… alors voyant cela j’ai appelé ce monde le monde orgueilleux, c’est le monde qui est le mien et dans lequel je vis, j’en fait partie. Peut-être y a t’il un meilleur qualificatif?

Michel Bouttier dans son livre « Mots de Passe » parle de l’orgueil (kaukéma en grec:  la vanterie) dans le champ des Écritures et singulièrement dans les lettres de l’Apôtre Paul. Il parle d’un orgueil légitime, d’une fierté légitime et ils les situent en Christ, Michel Bouttier les rapproche alors du  » croire » de la confiance, de la foi…mais il souligne aussi un orgueil qui pousse les hommes a vouloir leur salut hors du Christ et alors il le définit comme un « s’en croire » : je peux faire mon salut tout seul, je « m’en crois » capable, je ne crois qu’en moi, en mes capacités, en ma grandeur, en mes forces, mon intelligence supérieure, ma religion supérieure, ma capacité militaire, mon argent, ma cotation en bourse, ma vision du monde, où l’autre est une quantité négligeable  » moi d’abord »! alors je regarde les autres en les humiliant, en les abaissant, en les écrasant, en les blessant à tout jamais dans leur dignité … Croire ou s’en croire! Paul va jusqu’à dire  » Je mettrai mon orgueil dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ » . Michel Bouttier ajoute  » La dignité de l’homme, la certitude d’être, reposent sur le renoncement aux aspirations de grandeur, le désistement intime face aux pouvoirs »

Voilà pourquoi dans ma poésie j’ai qualifié ce monde « orgueil » et j’ai parlé de  » rades orgueilleuses » de  » tempêtes d’orgueils »… et je me suis mis dans le lot des orgueilleux avec  » mes soleils orgueilleux », mes pauvres lumières… Le poète recherche et apprend une parole humble. Je parle d’humilité et en fait je ne sais comment mieux la qualifier : il faut que le poète laisse de  côté son orgueil (ses prétentions, son « s’en croire », sa fierté, ses présupposés de vérités acquises) pour recevoir cette parole, ce souffle, ce murmure insaisissables, cette présence… Peut-être entend-il résonner cette parole de Paul parlant de Jésus le Christ  » il n’a pas considéré être l’égal de Dieu, mais il s’est dépouillé »…Peut-être qu’il faut se dépouiller de tout pouvoir ( » être l’égal de Dieu ») pour se repeupler de notre humanité servante de la vie. Peut-être que la poésie est un dépouillement jusqu’à la beauté…

De la même manière que je ne savais comment qualifier le monde autour de moi sinon par l’orgueil, je ne savais comment ouvrir une terre nouvelle sinon en revenant à la nature encore, à l’enfance ( le village, le rural…) et en définissant la ville comme lieu de la confusion (Babel) (j’emploie souvent le mot  » néon » pour montrer l’artificiel des lumières de la ville, l’artificiel des discours de la villes, j’emploie  » écran » pour dire les langages obligés des écrans d’ordinateurs, de télés, tout ce qui pèse sur nous et nous formate). Ceci dit j’aime la ville bien sûr…mais puisque vous citez Jacques Ellul je reprends à mon compte sa critique d’une société technicienne qui déshumanise. J’aime dans la Bible ces lieux  » à l’écart » où Jésus va prier seul, cet écart où se révèle la plénitude d’une rencontre,  Jésus  « ayant pris à part » touche les plaies des souffrances et des exclusions de celles et ceux qu’il croise sur son chemin ;  j’aime le plein midi de la Samaritaine vers le puit de Jacob , j’aime le désert où « il se retire », j’aime ce haut de montagne où il dit les béatitudes, j’aime ce jardin de Gethsémané où la nuit arrive, et cet   » en dehors des murs » où il meurt. 

En fait, je cherche en moi ces lieux, cet écart de monde, ce silence de la prière, cette beauté d’une parole perçue, cette « présence pure » comme l’appelle Simone Weil (est-ce orgueilleux?)… Je cherche encore ce qu’il y a de possible, ce qu’il y a de beauté, ce qu’il y a encore d’humain dans ce qui m’entoure, dans mon humble lecture de l’état du monde, dans cet avenir à vouloir. »

Brouillard sur une ferme du mont Mézenc. Photographie: Jacqueline Assaël

– Les éditions Jas sauvages au Salon Protestant du livre à Paris, par Étienne Pfender

Impressions d’Étienne Pfender,qui a tenu le stand, avec Jean Alexandre et Michel Block

Lors du FPL 2023 à l’Institut Protestant de Théologie de Paris, deux espaces séparés étaient installés : celui des auteurs dans la grande salle, et celui des éditeurs dans la salle attenante au lieu où se tenait la table ronde. En début d’après-midi, il fallut aller « chercher » le public, attiré plutôt par les nombreux auteurs, favorisés, il est vrai, par une meilleure signalétique globale. Mais à force de distribuer les magnifiques marque-pages des Éditions Jas sauvages, le stand a été bien visité. Un ancien imprimeur a trouvé la typographie des couvertures des Éditions Jas sauvages fort belle et sobre. Le QR CODE des Éditions a été certes peu flashé, mais l’habitude n’est pas encore prise dans le public traditionnel protestant. Dommage, car il donne directement accès au site internet des Éditions.

Par sa grande taille, notre stand permettait d’exposer tous les livres édités depuis cinq ans, de valoriser chaque collection, et d’exposer les nouveautés en plein milieu. Jean Alexandre, Michel Block et moi-même étions présents pour accueillir les visiteurs qui se voyaient offrir le catalogue des Éditions, ainsi que les derniers marque-pages et cartes postales restants. Ces simples souvenirs ont été dévalisés et se révèlent très utiles, comme le témoignait une personne qui avait déjà une carte trônant sur son buffet…

En fin d’après-midi, la tenue de la table ronde du Festival a drainé le public quasiment obligé de passer devant notre stand. Les ventes s’en sont ressenties, puisqu’au total, sur une cinquantaine d’ouvrages présentés, dix ont été vendus. Pour de la poésie, par essence plutôt intimiste, c’est loin d’être négligeable !  Un encouragement à persister dans l’exhortation de l’Épître de Jacques : « Devenez poètes de la parole ».

La décoration du stand

Ce petit personnage et ces petits animaux sont tous très attentifs aux œuvres des Éditions Jas sauvages. Ils ont notamment attiré l’attention d’un petit garçon dont la maman est une passionnée de poésie de la foi.

État de la question quelques jours avant la date du Festival Protestant du Livre,

par Jacqueline Assaël

Étienne Pfender prépare avec soin et originalité le stand des Éditions Jas sauvages qu’il va tenir au Salon protestant du livre qui aura lieu dans les locaux de l’Institut Protestant de Théologie, le 30 septembre 2023, 83 boulevard Arago, 75014 Paris

Étienne Pfender est artiste, violoniste de profession et il investit autant de soin dans la préparation du stand des éditions Jas sauvages que dans ses répétitions musicales, ce qui n’est pas rien.

Grâce à lui, vous pourrez donc découvrir chacune des collections avec sa spécificité : théâtre, poésie, etc. Il se prépare aussi à vous expliquer l’intérêt de chacun des ouvrages de notre catalogue. Ce salon sera donc une occasion de faire très précisément connaissance avec nos éditions.

Bien sûr vous pourrez retrouver le recueil d’Étienne Pfender, Cent soixante-dix haïku bibliques, à travers lequel il tente de concilier l’esprit de deux cultures, celle du Japon, qui efface le sentiment de l’individualité sous la conscience de l’éphémère et de la souveraineté de la nature, et la spiritualité biblique qui place l’être humain face à Dieu.

Vous pourrez aussi rencontrer sur le stand le pasteur Jean Alexandre qui présentera son recueil Lettre à l’angelesse, éphéméride de son exercice de l’humain, fait d’émerveillement et de courage face à la vie qui nous surprend et nous emporte, parmi les autres.

Tous deux vous montreront que la poésie est indispensable pour respirer, dans un monde parfois étouffant.

Notre stand vous attend.

Moyens de paiement acceptés :

– La comédie « Allo Bybol ! » à Saint-Paul-Trois-Châteaux

1. PRÉPARATIFS : Tout le monde s’affaire à Saint-Paul-Trois-Châteaux pour accueillir la pièce Allo Bybol !

La régie se prépare, les éléments de décor sont mis en place. Dimanche prochain, 17 septembre 2023, aura lieu dans la paroisse de l’Église protestante unie de Saint-Paul-Trois-Châteaux une représentation exceptionnelle de la comédie théologique Allo Bybol!

Il faut dire que nous sommes tous impatients, car cette représentation a dû être reportée de plusieurs mois en raison d’une blessure d’une des deux comédiennes. Alors maintenant, c’est le temps des dernières répétitions et des derniers aménagements.

Voici une visite guidée du décor :

On va beaucoup chanter Aube nouvelle, au cours de cette représentation. Sur tous les tons, sur une musique déjantée d’Étienne Pfender et Marc Tennéroni, a capella, etc.

Voici une vue de l’écran sur lequel seront projetées les strophes de cette version renouvelée:

Alors, bien sûr, nous serons dans le Temple. Mais pour la circonstance, il va offrir aussi une scène pour les comédiennes et nous entrons dans une journée de réflexion ludique sur les modalités de lecture de la Bible.

Il faut donc transformer l’espace. C’est à quoi s’est employée l’équipe des paroissiens, non dénuée d’imagination et de ressources ; il faut fabriquer des coulisses, qu’à cela ne tienne : voici des paravents qui, recouverts d’un tissu noir, feront bien l’affaire. Les voyez-vous, sur l’image à gauche ?

Il faut trouver une chaise haute pour le personnage d’Angélique ? Il suffit de déménager un bouquet. Voilà un nouveau défi pour Annie Coudène qui, dans sa carrière, a déjà joué le rôle d’un arbre, mais en l’occurrence, il s’agit de réussir à supplanter un bouquet de fleurs. Nous nous y sommes exercées, aujourd’hui, en répétant la pièce. Elle sera sûrement convaincante. Quant aux nombreuses Bibles nécessaires à Luthérine, évidemment ce n’est pas un problème !

Voilà, il vous reste à venir nombreux pour assister à cette pièce conçue pour divertir tout public, les enfants et les adultes y trouveront leur compte les uns et les autres !

2. Et voilà, la représentation a eu lieu!

Le 17 septembre était une journée de rentrée, pour la paroisse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, avec en plus la solennité des journées du patrimoine.

La participation des éditions Jas sauvages s’est inscrite dans ce contexte spirituel et festif.

Le matin, la célébration du culte avait donné à éprouver l’atmosphère de bienveillance que la paroisse cherche à créer en elle et autour d’elle, avec une prédication sur la guérison d’un paralytique présenté à Jésus par un groupe d’amis en passant par les toits. Les paroissiens se sont donné la réplique, pendant une première phase où la réflexion est passée justement par la mise en scène de la situation, pour analyser les justifications d’une telle effraction. Puis le pasteur a montré comment la question devait être transcendée par l’engagement inconditionnel et gratuit dans un comportement de bienveillance envers l’autre.

L’apprentie comédienne que je suis s’est demandée, pendant les échanges très naturels et convaincus entre les paroissiens devenus brièvement acteurs, s’ils avaient véritablement besoin d’un apport extérieur, en matière de jeu théâtral.

Toujours est-il qu’après un repas fin et plantureux à la fois, le public s’est rassemblé nombreux pour assister à la représentation de Allo Bybol.

Le temple était plein et le toute l’assistance très attentive pour découvrir les surprises du cheminement d’Angélique à travers la Bible.

Bien sûr, tout le monde a chanté avec elle à pleins poumons la version renouvelée de Aube nouvelle sur des paroles que le pasteur Paul Doré a trouvées très poétiques. Bertrand, le technicien, a particulièrement apprécié la qualité de la parodie musicale effectuée sur le mode jazzy par Étienne Pfender et Marc Tennéroni.

Un spectateur est venu nous dire qu’il aurait bien aimé que la pièce dure un peu plus longtemps, manière de souligner qu’il ne s’était pas ennuyé avec cette cascade de jeux de mots théologiques et de situations drolatiques.

3. Allo Bybol va poursuivre son chemin et nous espérons retrouver bientôt cette paroisse très attentionnée et fraternelle de l’Enclave et du Tricastin pour d’autres partages théologico-poétiques!

– Aquarelles et poésie des Cévennes pour les journées du patrimoine, à Toulon

L’Église protestante unie de Toulon propose une exposition « Aquarelles et poésie » intitulée:

« Drailles. Chemins de transhumance vers la foi » pour les Journées du patrimoine.

L’exposition commentée sera visible les 16 et 17 septembre, au Faré, maisonnette paroissiale, au 39 bis rue Clappier à Toulon

Elle comporte 14 aquarelles de Jacqueline Assaël, accompagnées de poèmes extraits de plusieurs de ses recueils et ouvrages:

  • De l’âpreté des drailles, éditions Encres vives.
  • L’humble beauté de Dieu, éditions Olivétan.
  • Frère de silence, éditions Jas sauvages

Cette exposition avait été précédemment accueillie par la paroisse de l’Église protestante unie de Nice Saint-Esprit, du 5 juin au 30 octobre 2022.

Elle a également donné lieu à une réflexion sur le thème « Et Dieu créa les arts », parue dans le volume collectif publié par l’Institut protestant de théologie de Montpellier et paru aux éditions Olivétan.

L’exposition présente trois phases d’un chemin spirituel:

  • L’appel des Cévennes
  • Les Abeillères
  • Aujourd’hui

À Toulon, le vernissage s’est déroulé dans le Temple plein d’une centaine de personnes, à l’issue du culte de rentrée, le 10 septembre.

Il était très émouvant et impressionnant de voir un drap se lever, avec en transparence la vision de la Croix, pour lever les couleurs, en quelque sorte, lors de la projection prévue d’un diaporama expliquant le parcours.

Ce diaporama comporte quelques images exposant l’intérêt de l’art pour exposer la foi et quelques associations entre aquarelles et poésie, dans l’exposition. (Ci-dessous, quelques extraits de ce diaporama)

Visite guidée, joyeuse, le 10 septembre. Photographie Georg Haase

Remerciements à la paroisse de Toulon, à la pasteure Silvie Ill et au président du conseil presbytéral Christian Papirer qui ont organisé l’accrochage des aquarelles et poèmes et la mise en place du stand des éditions Jas sauvages.

– Un atelier d’écriture à Marseille, avec Yves Ughes

Yves Ughes nous envoie sa présentation de l’Atelier d’écriture qu’il a animé à Marseille, en mai dernier, pendant le Quatrième Festival international de poésie de la foi.

Vous trouverez ses éléments de méthode ci-dessous.

Six participants (dont Yves Ughes lui-même) se sont engagés dans cette aventure bienfaisante de l’écriture.

Vous trouverez dans une deuxième partie de l’article un florilège d’extraits que nous avons retenus.

Vous pouvez vous aussi jouer le jeu à distance, à votre tour, si vous le souhaitez, et nous envoyer vos textes.

L’atelier d’écriture du Festival international de poésie de la foi 

Marseille, mai 2023

Par Yves Ughes

I) Définir un atelier d’écriture 

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde »  affirmait Albert Camus. 

Partant de ce constat nous pouvons dire que l’expression « Atelier d’écriture » est plutôt bien choisie, formulée avec précision : le mot atelier présente une connotation artisanale bienvenue. 

De fait, il ne s’agit pas de former des écrivains, des poètes mais de (re)donner les outils nécessaires pour une réappropriation spécifique de la langue. 

Cette langue, on le sait depuis Ésope, peut être la meilleure et la pire des choses. 

En effet, en tant qu’être parlant nous ne sommes pas à l’abri de voir notre langue se figer, se contracter en pratiques mondaines et/ou totalisantes, voire totalitaires. 

Dans la préface de son recueil Lettre à l’angelesse, Jean Alexandre établit le mal de la langue avec clarté : 

« tout le monde parle. Mais pourtant, dans toutes les sociétés, il y a une pesanteur qui fait qu’elle se met à ronronner, à tourner en rond. Et finalement elle ne permet plus d’adaptation au nouveau, elle devient un corset qui force les choses à demeurer en place, suivant les intérêts qui dominent la société en question ». (P.7) 

Pour prolonger cette réflexion citons Christian Bobin, nous parlons -ou écrivons- alors en somnambules, « sans sortir du sommeil de la langue ». (Le Très-Bas, 4ème de couverture). 

Il nous faut retrouver l’énergie salvatrice de l’écriture, l’atelier a ainsi pour but de cultiver une langue par effraction pour répondre ainsi  à la phrase de Franz Kafka : la poésie est un coup de hache donné sur la mer gelée de nos émotions. 

Renouer avec les émotions pour retrouver l’allant perturbateur de la langue et de l’écriture. 

II) La couleur spécifique de notre atelier ? 

Notre atelier s’inscrit dans un festival consacré à la « poésie de la foi ». Les deux mots posent problème et se situent dans une interrogation. La poésie ne peut se définir, sans quoi on la finit ; il en va de même pour la foi. 

Ces deux mots nous renvoient à un questionnement fort : comment dire l’indicible ? La poésie doit exprimer les émotions, qui nous échappent, et la foi ne peut se formuler en mots raisonnables. 

Quels sont les liens qui unissent  pourtant et  sousterrainement ces deux mots ? Cette pratique de la langue et cette force intérieure qui nous anime ? 

Un élément de réponse nous est donné par Jésus lui-même. 

Ainsi pouvons-nous lire dans L’Évangile selon Matthieu : 

Je prendrai la parole pour dire des paraboles

Je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde. (Matthieu, 13-34) 

Et Antoine Nouis d’ajouter : 

« Les choses cachées depuis la fondation du monde » se révèlent par des paraboles et non par des raisonnements. Il existe un niveau de vérité qui est au-delà de la pensée, qui ne s’exprime pas mais qui se raconte. (A. Nouis, dans Le Nouveau Testament, Commentaire intégral verset par verset par Antoine Nouis, Éditions Olivétan-Salvator, 2018, page 116.) 

Nous allons donc avancer dans cette direction. 

Pour avancer dans le cadre de cet atelier nous allons utiliser toutes les ressources offertes par notre langue, en nous dégageant des carcans conceptuels. 

Laissons parler la musicalité des mots, laissons-nous envahir par notre musique intérieure, qui va nous dicter un rythme qui prendra forme en occupant  l’espace-page, et cultivons  sans frein les images : les paraboles, les comparaisons, les métaphores. 

III)  Les déclencheurs

(Texte de référence : l’Évangile selon Matthieu) 

(Texte biblique tiré de la Nouvelle Bible Second. 2002. Société biblique française.)

  1. Jésus lui dit : les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’Homme n’a pas où poser sa tête. (Matthieu, 8.20 )Sa parole est un évangile du chemin (A. Nouis). Comment et où cheminez-vous avec la Parole du Christ ? 
  1. Mais Jésus lui dit : Suis-moi et laisse les morts ensevelir les morts. (Matthieu, 8.22) vous est-il arrivé d’aller d’un lieu dominé par la mort vers un lieu de vie ? Dites votre cheminement. N’hésitez pas à inventer des lieux symboliques.
  1. Le démon chassé, le muet parla. (Matthieu, 9.33). Quand je suis libéré de mes peurs et de mes démons quelle est ma parole ? Que peut engendrer ce  « je » enfin autorisé  ? (On peut travailler avec l’anaphore, écrire un texte avec un « je » récurrent). 
  1. Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera. (Matthieu, 10.40). Qu’est-ce qui se perd ? Qu’est-ce qui se trouve ? (Ce qui se perd aux semailles se retrouve à la moisson. Saint Augustin). 
  1. Alors il dit à l’homme : Tends ta main. Il la tendit, et elle redevint saine comme l’autre. (Matthieu, 12.13). Évoquer ce qui en nous cultive la paralysie, et ce qui nous dénoue. 

6) Le thème de la joie revient plusieurs centaines de fois dans la Bible. Jésus appelle ses disciples à vivre sous un  commandement d’amour, pour que votre joie soit complète (Jn, 15.11) et l’apôtre Paul fait de cette vertu un commandement : Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur : je le répète, réjouissez-vous. (Ph.4.4) . En utilisant toutes les ressources de la langue : musicalité, rythme, images évoquez un moment de joie intense, « pour qu’elle demeure ». 

7) Alors, il leur répondra : Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous n’avez pas fait cela pour l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait ». (Matthieu, 25.45) 

En complément : Celui qui n’aime pas demeure dans la mort (1.Jn, 3-14) . Images de la mort actuelle, formes de l’amour…

8) Mais quel malheur pour cet homme par qui le Fils de l’Homme est livré ! Il aurait mieux valu pour cet homme de ne pas être né. (Matthieu, 26-24) Percevoir et dire la dimension tragique de Judas. 

9) les tombeaux s’ouvrirent et les corps de beaucoup de saints endormis se réveillèrent. (Matthieu, 27.52) par le Christ quels sont les tombeaux qui s’ouvrent en moi, quelles sont les peurs qui se libèrent ? 

TEXTES ÉCRITS LORS DE L’ATELIER D’ÉCRITURE 

Tous les textes produits ont leur intérêt propre : Martine Cardi a exprimé avec force son aspiration à une libération, sous de multiples aspects, et Janine Belfils a dit très simplement son besoin d’aimer : « Pour vivre, j’ai besoin d’aimer… »

Jacqueline Dufour a interprété de manière originale l’épisode de la guérison de l’homme à la main sèche, dans Matthieu, 12, 13. Pour elle, cette main, raidie, est incapable de se tendre vers l’autre qui la déstabilise par son indépendance et qu’elle a du mal à accueillir. Mais quelque chose se passe :

Ma main sale, orgueilleuse 

Vacille

Qui suis-je ?

Personne, une étrangère, une inconnue 

La joie est là, perceptible, vivante

Mon esprit vibre

« Oui, oui, venez »

Mes mains redeviennent saines 

La vie, le bonheur m’inondent 

Jacqueline Dufour. (D’après Matthieu, 12. 13) 

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Marie-Christine Gay esquisse aussi une évolution vers la sérénité, à la vue d’un arc-en-ciel, alors qu’elle éprouvait une sensation de déliquescence.

Comment l’exprimer mieux qu’elle ?

mes yeux tombent très bas 

dans les rivières de ma vie 

La nature des flots se transforme ensuite étonnamment et le naufrage régénère le personnage en train de se noyer

sombre mon cœur dans le jour 

les flots me submergent 

une demeure m’accueille

Marie-Christine Gay. 

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Yves Ughes évoque les résurgences de la vie en créant la sensation poétique de ses couleurs saisissantes et en suggérant le mouvement de son souffle inextinguible.

La référence biblique dit sobrement la solidité de la foi.

un éclair et c’est la nuit 

chaque ronce pourtant vient s’enraciner dans des rayons 

faits de miel et de faibles clartés 

un troupeau vient à naître 

un troupeau s’en vient paître 

et les insectes déjà respirent 

enjoués 

couperosés 

comme coquelicots 

vers toujours plus de vent. 

le verbe abandonné est devenu 

pierre angulaire, clé de voûte.           

Yves Ughes 

– Les éditions Jas sauvages à l’Assemblée du Désert

Les éditions Jas sauvages sont allées fêter leurs cinq ans lors de l’Assemblée du Désert.

Elles ont ainsi procédé au lancement de leurs deux derniers livres:

  • Engranger le fertile, recueil de poèmes de Lucie Wateau
  • Nouaison, recueil de poèmes suivi d’un essai: Genèse et Nouaison à la manière de Søren Kierkegaard, de Jacqueline Assaël

Le stand était tenu par Jacqueline Assaël, Lucie Wateau et Jean Alexandre qui ont profité de la pause méridienne pour proposer des lectures poétiques au public qui passait dans les allées de l’esplanade consacrée aux organismes de culture protestante.

Le terrain de l’Assemblée du Désert, au petit matin, lors de l’installation des stands

Jean Alexandre, avec à la main son livre, Lettre à l’Angelesse, éditions Jas sauvages.

Lucie Wateau, pour le lancement de Engranger le fertile

Jacqueline Assaël, avec son livre Nouaison.