
Le sixième Festival de poésie de la foi s’est achevé il y a quelques jours à Jacou, après avoir un peu arpenté la région, de Maguelone au Carrousel de Montpellier. C’est donc le moment de rassembler le souvenir des émotions les plus marquantes qu’il a permis de vivre à ceux qui ont pu y participer et y assister avec bonheur, afin de les partager avec ceux qui n’ont pas pu se joindre à nous.
Le début du Festival, à Maguelone

Le premier jour, nous avions prévu de pique-niquer dans les jardins de la cathédrale de Maguelone, puis de visiter l’édifice et d’y lire des poèmes que nous aurions choisis. La météorologie ne nous a pas trop souri car il a fait un temps de chien, avec de grosses bourrasques et énormément de nuages, dans un lieu soumis à tous les vents. Mais les poètes ne sont pas des créatures aussi fragiles qu’on peut le croire et, dans la mesure où la pluie a bien voulu épargner le site pendant les quelques heures où nous nous y sommes installés, la fureur de la nature a accentué le caractère grandiose de l’endroit et nous y avons bravement déroulé notre programme sous la garde des paons aux plumes d’immortalité qui nous ont accueillis, arborant des teintes reflétées par les tableaux de Richarme exposés dans le parc.

Comme des spécialistes de l’histoire de Maguelone nous ont rejoints, nous avons évoqué à plusieurs voix l’histoire des lieux, depuis l’époque où l’île était un volcan, il y a 5 millions d’années en arrière, jusqu’à aujourd’hui, où elle accueille peintres, poètes et musiciens au milieu de terres de viticulture, de pêcheries et de compagnonnage, dans l’atmosphère de spiritualité qui émane de l’épaisseur imposante des murs de la cathédrale et de la transparence de l’or et de la mer de ses vitraux.


Puis tout un groupe de poètes et de participants sont venus se placer dans le transept où la lumière était la plus vive, de sorte à pouvoir lire des poèmes de leur choix, ou ceux qu’ils avaient piochés dans la besace prévue par Yves Ughes à cet effet. Des poèmes d’Aragon, de Jean Alexandre, de Charles Juliet, etc. ont résonné sous la voûte, dits par Marie-Hélène, Laurence, Olivier, et bien d’autres, heureux de projeter leur voix dans ce cadre grandiose.

Une soirée à Jacou, avec Yves Ughes
Et le soir, le Festival étant revenu à Jacou, Yves Ughes a déroulé les six recueils qui composent son œuvre, en montrant comment ils révèlent, à l’analyse, l’évolution de sa vie de foi, faite dans une première partie de sa vie d’une espèce de provocation adressée à Dieu, comme celle de Judas, face aux douleurs du monde, aux douleurs de l’enfermement carcéral des prisonniers auxquels il a enseigné au cours de sa carrière, face aussi aux déchirements personnels, avant que la poésie ne s’emplisse des visions de beauté de l’élévation de l’Estérel, et que l’esprit s’apaise assez pour rechercher Dieu dans les ressources offertes d’ici-bas.
Un atelier d’écriture à Jacou
Le lendemain au matin, nous nous sommes retrouvés, presqu’une dizaine, pour participer à l’atelier d’écriture animé par Yves Ughes, formateur hors pair, avec son expérience d’enseignant et de poète.
Vous pouvez découvrir en détail, dans un des articles du site, ci-dessous, la production qui en a résulté : récits humoristes, poèmes de facture classique ou libre, méditation altruiste, tous partent des références bibliques listées par Yves dans son document préparatoire qui nous a lancés vers les idées de résurrection, de désert où tracer les chemins de l’Esprit, etc. Ces ateliers sont toujours dynamisants, car Yves montre à chacun les dons de poète que son texte révèle, parfois à l’insu de l’auteur et il engage ainsi chacun dans une expression qui peut être libératrice, qui est en tout cas créatrice et enrichissante pour la collectivité.

L’après-midi du vendredi, à Jacou
L’après-midi a eu lieu l’ouverture officielle du Festival, avec l’allocution de Madame Corinne Saléry, présidente du secteur de Jacou, au sein de l’association cultuelle de l’Église protestante unie de Montpellier et des alentours. Loin de toute banalité, elle nous a offert ses propres mots de poète pour lancer l’événement :
« La poésie, c’est comme l’écorce et la sève, elle est respiration, souffle, bruissement, elle dévoile et révèle, elle n’impose jamais, elle suggère, elle invite…
Et comme toute forme d’art, la poésie s’insinue dans nos espaces réels et imaginaires, au-delà du visible et du dicible, regard sur le monde, jardin secret où pousse l’espérance, l’amour, la liberté. »
Elle nous a ensuite présenté le Centre œcuménique qui a offert un vaste espace où déployer ensuite toutes les tonalités poétiques représentées par les inspirations diverses des auteurs invités.

Avant de leur donner la parole, nous avons lu ensemble des textes de toutes les époques et de tous les horizons, centrés sur le thème du Jardin, d’Homère à Léopold Sédar Senghor, en passant par Rousseau, Prévert ou Queneau. Car il s’agissait de voir comment ce sujet important dans la Bible, à son origine avec l’Éden, à son issue avec Gethsémanè, a été repris dans d’autres traditions, avec des significations variées.
Les interventions personnelles se sont ensuite succédées : Joëlle Randegger a mis de façon originale en évidence, à travers des lectures d’extraits de ses romans bibliques l’aspect salutaire des plantes des jardins. La mise en scène, avec ses effets de lumière et les sonorités d’un bâton de pluie artistement manipulé par Marion Mouret était sobre et belle.
Puis Éric Chassefière est venu nous parler de ses expériences frémissantes de contemplation et d’extase, face à son jardin. Ses lectures de son recueil Le jardin est visage ont envoûté l’auditoire dans cette évocation de la circularité immobile du temps (voir ci-dessous l’article qui lui est consacré sur le site). Issue d’une spiritualité sans autre recherche que l’intensité de la conscience de la vie, son œuvre inspire des commentateurs qui se réfèrent à l’idée de Dieu avec une pertinence ou une impertinence défiant la réponse des théologiens, suscitant un dialogue au-delà des paroisses : « L’être est jardin. Le jardin est l’être. L’oiseau nait de l’arbre et l’arbre de l’oiseau. Dieu est substance au sens où nul ne peut dire que Dieu est une création de l’univers ni que Dieu a créé l’univers. Dieu ne provient de rien. »
Michel Block lui a succédé, évoquant ses influences poétiques, son livre Périchorèse, paru aux éditions Jas sauvages, son nouveau recueil Échos du silence (éd. La Cause), et le bonheur que lui apporte la collaboration de peintres et de musiciens dans cette réalisation, et dans la présentation qu’il a l’occasion de faire de ces textes de spiritualité.
Une soirée dans un étang imaginaire du Roussillon

La soirée a ensuite été consacrée à la présentation de mon recueil Faune au seuil des houles, paru aux Éditions Encres Vives qu’Éric Chassefière était venu nous faire connaître peu avant. Ce livre évoque l’épopée des méditations de ce personnage un peu sauvage, retiré dans un cadre semblable à celui des étangs du Roussillon, happé dans la contemplation du ciel nocturne et des profondeurs de la préhistoire, représentée, à proximité de son refuge érémitique, par le personnage de l’homme de Tautavel. Alors des questions naissent : à quel moment devient-on un homme devant Dieu, avec un cerveau qui l’identifie comme tel ? Quels sont les rapports de la matière céleste et de son infini, avec l’immatérialité de Dieu ? Colette m’a apporté une très grande joie en me disant que désormais, elle était avide de se procurer les sensations d’une nuit à la belle étoile…
Le samedi, au Carrousel

Le samedi, notre série de conférences a repris dans l’après-midi, avec des lectures prenantes de Gérard Scripiec réécrivant les psaumes de manière très personnelle (voir ci-dessous l’article qui lui est consacré).
J’ai partagé la séquence suivante avec Jean Alexandre : il nous a lu un de ses anciens recueils, bouleversant : Le chant du père inconsolé et je me suis interrogée : quel est ce père? Dieu? L’auteur ? Car Jean Alexandre a écrit ce long texte, scandé de strophes, après le deuil d’un de ses fils. Toujours est-il qu’il est question de fils toujours en fuite, et d’une ultime promesse paternelle annonçant des retrouvailles.
Julia Rochette, poète marseillaise, accompagnée d’une amie comédienne, Pauline Cheviller, qui a lu ses textes, nous a présenté Cendres solaires, un recueil qui dit la renaissance des cendres, l’amour pour la chaleur du soleil, l’attachement à Dieu réparateur de la souffrance. La jeunesse de l’auteur, sa maturité dans la foi et dans la réflexion spirituelle, ont profondément ému le public bienveillant, fraternel et conquis.
Puis Philippe François lui a succédé, dans un autre registre, en rappelant la tradition historique de la poésie protestante. Il a rapidement dessiné un panorama de cette poésie au fil des siècles, de Marot à Jean Alexandre. Son intervention a bien montré comment ce Festival de poésie de la foi s’inscrit dans une caractéristique culturelle du protestantisme issu de la Réforme.
Une soirée consacrée à l’œuvre de Jean Alexandre

Jean Alexandre a été à l’initiative de l’organisation de cette manifestation dans la région de Montpellier, aidé en cela efficacement par Joëlle Randegger. Une soirée lui a été consacrée, car lui aussi peut se prévaloir d’avoir publié une œuvre abondante et diverse. Cette phase du Festival lui a donné la possibilité de récapituler, en quelque sorte, les recueils importants qui ont signalé les étapes importantes de sa vie, de son enfance à Charonne jusqu’à aujourd’hui. Philippe François a déploré, au cours de son intervention, que Jean Alexandre n’ait pas une notoriété suffisante, par rapport à l’importance que lui-même accorde à son œuvre. Là encore, la formule du Festival apparaît comme nécessaire pour contribuer au rayonnement des auteurs protestants au-delà du cadre de l’Église, afin de faire connaître largement les divers types d’expression qui composent l’expression de la foi actuellement, et d’inscrire la littérature protestante dans le concert des arts, au niveau national. En l’occurrence, le Festival de poésie de la foi de Montpellier s’est inscrit dans le programme du «Printemps des poètes », en France.
Journée de clôture du Festival
Le dimanche matin à Jacou la vie cultuelle a repris ses droits avec l’expression collective de la foi autour du pasteur Jean-Paul Nuñez. Lors des annonces, j’ai été invitée à exposer devant l’assemblée ce que nous avions ressenti tout au long des journées précédentes et j’ai signalé qu’une dernière phase du Festival aurait lieu l’après-midi. Un public plus étoffé a participé à la dernière étape de cette rencontre.

Il a alors découvert les haïku bibliques d’Étienne Pfender, tantôt humoristiques, lorsqu’il évoque la Genèse avec le regard presque naïf et épaté d’un enfant, tantôt élégiaques, lorsqu’il est question de l’effort extrême que fait son personnage de Job pour ne jamais se rebeller contre Dieu, quoi qu’il lui arrive. Dans le public, des commentaires et des analyses littéraires très pertinentes ont fusé, devant la vidéo-projection de haïku sur le mur du centre œcuménique, et des réflexions sur cette invention littéraire de cette étrange méthode d’évangélisation, selon laquelle l’acculturation d’un genre poétique venu du Japon permet de glisser dans ces courts poèmes la substance des textes bibliques.

L’intérêt est demeuré tout aussi soutenu lorsque j’ai ensuite fait découvrir à des auditeurs émus et concentrés le recueil de Julien Petit, Une vie à l’aube, manière de transcender la douleur poignante de l’agonie d’une mère par la puissance de la foi, par le plein et entier sentiment de la présence de Dieu auquel on peut confier ceux que l’on aime, « ultimement ».
Le stand de librairie des éditions Jas sauvages a ensuite encore bruissé de demandes et d’inscriptions à la lettre de nouvelles, avec des participants heureux d’avoir découvert les ouvertures originales de spiritualité poétique qui leur ont été proposées tout au long du Festival par des artistes passionnés, au service de la foi.