– Un atelier d’écriture à Marseille, avec Yves Ughes

Yves Ughes nous envoie sa présentation de l’Atelier d’écriture qu’il a animé à Marseille, en mai dernier, pendant le Quatrième Festival international de poésie de la foi.

Vous trouverez ses éléments de méthode ci-dessous.

Six participants (dont Yves Ughes lui-même) se sont engagés dans cette aventure bienfaisante de l’écriture.

Vous trouverez dans une deuxième partie de l’article un florilège d’extraits que nous avons retenus.

Vous pouvez vous aussi jouer le jeu à distance, à votre tour, si vous le souhaitez, et nous envoyer vos textes.

L’atelier d’écriture du Festival international de poésie de la foi 

Marseille, mai 2023

Par Yves Ughes

I) Définir un atelier d’écriture 

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde »  affirmait Albert Camus. 

Partant de ce constat nous pouvons dire que l’expression « Atelier d’écriture » est plutôt bien choisie, formulée avec précision : le mot atelier présente une connotation artisanale bienvenue. 

De fait, il ne s’agit pas de former des écrivains, des poètes mais de (re)donner les outils nécessaires pour une réappropriation spécifique de la langue. 

Cette langue, on le sait depuis Ésope, peut être la meilleure et la pire des choses. 

En effet, en tant qu’être parlant nous ne sommes pas à l’abri de voir notre langue se figer, se contracter en pratiques mondaines et/ou totalisantes, voire totalitaires. 

Dans la préface de son recueil Lettre à l’angelesse, Jean Alexandre établit le mal de la langue avec clarté : 

« tout le monde parle. Mais pourtant, dans toutes les sociétés, il y a une pesanteur qui fait qu’elle se met à ronronner, à tourner en rond. Et finalement elle ne permet plus d’adaptation au nouveau, elle devient un corset qui force les choses à demeurer en place, suivant les intérêts qui dominent la société en question ». (P.7) 

Pour prolonger cette réflexion citons Christian Bobin, nous parlons -ou écrivons- alors en somnambules, « sans sortir du sommeil de la langue ». (Le Très-Bas, 4ème de couverture). 

Il nous faut retrouver l’énergie salvatrice de l’écriture, l’atelier a ainsi pour but de cultiver une langue par effraction pour répondre ainsi  à la phrase de Franz Kafka : la poésie est un coup de hache donné sur la mer gelée de nos émotions. 

Renouer avec les émotions pour retrouver l’allant perturbateur de la langue et de l’écriture. 

II) La couleur spécifique de notre atelier ? 

Notre atelier s’inscrit dans un festival consacré à la « poésie de la foi ». Les deux mots posent problème et se situent dans une interrogation. La poésie ne peut se définir, sans quoi on la finit ; il en va de même pour la foi. 

Ces deux mots nous renvoient à un questionnement fort : comment dire l’indicible ? La poésie doit exprimer les émotions, qui nous échappent, et la foi ne peut se formuler en mots raisonnables. 

Quels sont les liens qui unissent  pourtant et  sousterrainement ces deux mots ? Cette pratique de la langue et cette force intérieure qui nous anime ? 

Un élément de réponse nous est donné par Jésus lui-même. 

Ainsi pouvons-nous lire dans L’Évangile selon Matthieu : 

Je prendrai la parole pour dire des paraboles

Je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde. (Matthieu, 13-34) 

Et Antoine Nouis d’ajouter : 

« Les choses cachées depuis la fondation du monde » se révèlent par des paraboles et non par des raisonnements. Il existe un niveau de vérité qui est au-delà de la pensée, qui ne s’exprime pas mais qui se raconte. (A. Nouis, dans Le Nouveau Testament, Commentaire intégral verset par verset par Antoine Nouis, Éditions Olivétan-Salvator, 2018, page 116.) 

Nous allons donc avancer dans cette direction. 

Pour avancer dans le cadre de cet atelier nous allons utiliser toutes les ressources offertes par notre langue, en nous dégageant des carcans conceptuels. 

Laissons parler la musicalité des mots, laissons-nous envahir par notre musique intérieure, qui va nous dicter un rythme qui prendra forme en occupant  l’espace-page, et cultivons  sans frein les images : les paraboles, les comparaisons, les métaphores. 

III)  Les déclencheurs

(Texte de référence : l’Évangile selon Matthieu) 

(Texte biblique tiré de la Nouvelle Bible Second. 2002. Société biblique française.)

  1. Jésus lui dit : les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’Homme n’a pas où poser sa tête. (Matthieu, 8.20 )Sa parole est un évangile du chemin (A. Nouis). Comment et où cheminez-vous avec la Parole du Christ ? 
  1. Mais Jésus lui dit : Suis-moi et laisse les morts ensevelir les morts. (Matthieu, 8.22) vous est-il arrivé d’aller d’un lieu dominé par la mort vers un lieu de vie ? Dites votre cheminement. N’hésitez pas à inventer des lieux symboliques.
  1. Le démon chassé, le muet parla. (Matthieu, 9.33). Quand je suis libéré de mes peurs et de mes démons quelle est ma parole ? Que peut engendrer ce  « je » enfin autorisé  ? (On peut travailler avec l’anaphore, écrire un texte avec un « je » récurrent). 
  1. Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera. (Matthieu, 10.40). Qu’est-ce qui se perd ? Qu’est-ce qui se trouve ? (Ce qui se perd aux semailles se retrouve à la moisson. Saint Augustin). 
  1. Alors il dit à l’homme : Tends ta main. Il la tendit, et elle redevint saine comme l’autre. (Matthieu, 12.13). Évoquer ce qui en nous cultive la paralysie, et ce qui nous dénoue. 

6) Le thème de la joie revient plusieurs centaines de fois dans la Bible. Jésus appelle ses disciples à vivre sous un  commandement d’amour, pour que votre joie soit complète (Jn, 15.11) et l’apôtre Paul fait de cette vertu un commandement : Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur : je le répète, réjouissez-vous. (Ph.4.4) . En utilisant toutes les ressources de la langue : musicalité, rythme, images évoquez un moment de joie intense, « pour qu’elle demeure ». 

7) Alors, il leur répondra : Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous n’avez pas fait cela pour l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait ». (Matthieu, 25.45) 

En complément : Celui qui n’aime pas demeure dans la mort (1.Jn, 3-14) . Images de la mort actuelle, formes de l’amour…

8) Mais quel malheur pour cet homme par qui le Fils de l’Homme est livré ! Il aurait mieux valu pour cet homme de ne pas être né. (Matthieu, 26-24) Percevoir et dire la dimension tragique de Judas. 

9) les tombeaux s’ouvrirent et les corps de beaucoup de saints endormis se réveillèrent. (Matthieu, 27.52) par le Christ quels sont les tombeaux qui s’ouvrent en moi, quelles sont les peurs qui se libèrent ? 

TEXTES ÉCRITS LORS DE L’ATELIER D’ÉCRITURE 

Tous les textes produits ont leur intérêt propre : Martine Cardi a exprimé avec force son aspiration à une libération, sous de multiples aspects, et Janine Belfils a dit très simplement son besoin d’aimer : « Pour vivre, j’ai besoin d’aimer… »

Jacqueline Dufour a interprété de manière originale l’épisode de la guérison de l’homme à la main sèche, dans Matthieu, 12, 13. Pour elle, cette main, raidie, est incapable de se tendre vers l’autre qui la déstabilise par son indépendance et qu’elle a du mal à accueillir. Mais quelque chose se passe :

Ma main sale, orgueilleuse 

Vacille

Qui suis-je ?

Personne, une étrangère, une inconnue 

La joie est là, perceptible, vivante

Mon esprit vibre

« Oui, oui, venez »

Mes mains redeviennent saines 

La vie, le bonheur m’inondent 

Jacqueline Dufour. (D’après Matthieu, 12. 13) 

+++++++++++…………….+++++++++++++

Marie-Christine Gay esquisse aussi une évolution vers la sérénité, à la vue d’un arc-en-ciel, alors qu’elle éprouvait une sensation de déliquescence.

Comment l’exprimer mieux qu’elle ?

mes yeux tombent très bas 

dans les rivières de ma vie 

La nature des flots se transforme ensuite étonnamment et le naufrage régénère le personnage en train de se noyer

sombre mon cœur dans le jour 

les flots me submergent 

une demeure m’accueille

Marie-Christine Gay. 

++++++++++++++…………….+++++++++++++

Yves Ughes évoque les résurgences de la vie en créant la sensation poétique de ses couleurs saisissantes et en suggérant le mouvement de son souffle inextinguible.

La référence biblique dit sobrement la solidité de la foi.

un éclair et c’est la nuit 

chaque ronce pourtant vient s’enraciner dans des rayons 

faits de miel et de faibles clartés 

un troupeau vient à naître 

un troupeau s’en vient paître 

et les insectes déjà respirent 

enjoués 

couperosés 

comme coquelicots 

vers toujours plus de vent. 

le verbe abandonné est devenu 

pierre angulaire, clé de voûte.           

Yves Ughes 

– Les éditions Jas sauvages à l’Assemblée du Désert

Les éditions Jas sauvages sont allées fêter leurs cinq ans lors de l’Assemblée du Désert.

Elles ont ainsi procédé au lancement de leurs deux derniers livres:

  • Engranger le fertile, recueil de poèmes de Lucie Wateau
  • Nouaison, recueil de poèmes suivi d’un essai: Genèse et Nouaison à la manière de Søren Kierkegaard, de Jacqueline Assaël

Le stand était tenu par Jacqueline Assaël, Lucie Wateau et Jean Alexandre qui ont profité de la pause méridienne pour proposer des lectures poétiques au public qui passait dans les allées de l’esplanade consacrée aux organismes de culture protestante.

Le terrain de l’Assemblée du Désert, au petit matin, lors de l’installation des stands

Jean Alexandre, avec à la main son livre, Lettre à l’Angelesse, éditions Jas sauvages.

Lucie Wateau, pour le lancement de Engranger le fertile

Jacqueline Assaël, avec son livre Nouaison.

– Visite guidée poétique de l’abbatiale de Rosheim

par Lucie Wateau

Elle qui a écrit Engranger le fertile, à paraître bientôt aux éditions Jas sauvages, a animé une visite guidée de l’abbatiale de Rosheim, en Alsace, dans un cadre privé, avec ses amis. Elle aime ce type de diffusion de la poésie dans une intimité chaleureuse.

Elle nous a confié des traces de cette journée de juillet, à travers un script de sa présentation dans l’abbatiale. Elle a signalé des éléments architecturaux de ce monument religieux en leur donnant l’écho de lectures de poèmes de Michel Block (Périchorèse) et Jacqueline Assaël (Frère de silence). Les vidéos tournées à cette occasion par Patrick Jacob ne peuvent pas pour l’instant être chargées sur ce site, mais Lucie Wateau a aussi retenu, en quelque sorte, des images arrêtées de cette visite, en associant des photographies de mots et d’images. Pour terminer, elle a aussi lu un poème de Jean Alexandre et la vidéo correspondante clôt cet article.

Script de la visite guidée, par Lucie Wateau

Première partie

Je veux vous montrer quelques figures de cette nef qui nous touchent particulièrement dans notre chemin de Foi
.
Dehors nous avons remarqué des sculptures – des acrotères – représentant des personnages terrassés par le mal.
Lui même représenté par un animal monstrueux.

Ici, dans la nef de l’église, il y a comme une protection qui nous vient de ce chemin intérieur vers la lumière que
nous voulons accomplir.
Mais ce n’est pas tout de suite!

Nous sommes là, à l’entrée de l’église.

Voilà qu’il y a un petit personnage qui se bouche les oreilles.
Pourquoi se bouche-t-il les oreilles ?
Est-ce qu’il veut fuir le tintamarre extérieur? Est-ce qu’il veut fuir son propre tintamarre?
Ou est-ce qu’il n’est pas encore prêt à entendre cette Parole qui vient d’ailleurs?

A cette intention, voici un poème de Michel Blok, pasteur protestant, tiré de son livre « Périchorèse » ,
une danse entre l’homme, Dieu et l’Esprit .

Peut-être veux-Tu
que je me taise

Peut-être veux-Tu
poncer mes mots
avec Ton silence

Peut-être

Ce  » peut-être « , c’est l’interrogation de celui qui désire faire son chemin intérieur dans l’église ?

Je vous invite maintenant à suivre la nef.

Script de la visite guidée

Deuxième partie

Nous sommes arrivés près du choeur

Voici un petit personnage, tout à fait en hauteur.

On a l’impression qu’il ouvre ses oreilles !
Est-ce que nous aussi allons ouvrir nos oreilles à la Parole ?

A la même hauteur, nous avons 2 personnages qui se tiennent unis.
 » C’est pour les mariages! » dit quelqu’un

J’imagine cette progression :
On se bouche les oreilles, on se recueille, on s’ouvre à la Parole, on crée du lien, on rencontre l’autre.

Ou encore, du point de départ de notre chemin:

on se protège du mal, on avance vers plus d’écoute , plus de lumière.

Comment expliquer cette sculpture ? Signe du zodiaque ? Je ne sais pas.
Je l’interprète plutôt comme le lien qui se crée dans la rencontre, en Eglise, ECCLESIA.

Regard sur le vitrail des transepts

ici les anges se réjouissent de notre chemin intérieur et nous accueillent

écoute d’un poème de Jacqueline Assaël tiré de son livre  » Frère de Silence »:

Désormais
L’angélus de sa joie
Sonne
À toute volée

Comme un instinct sauvage

Puis se recueille
Comme à mi-voix

Mais il règne
Et l’englobe de joie

Où elle est

Malgré lui

Au fur et à mesure du chemin, une joie se dit, qui nous englobe, même si nous résistons encore un peu,
la joie est là
et les anges nous regardent, se réjouissent, nous englobent de joie.

Dans la nef

Levons les yeux encore une fois
Voyons des personnages qui nous regardent: un visage bienveillant, un autre un peu plus circonspect…
Il y a comme ça des regards qui nous suivent tout au long de notre périple.

Écoute d’un poème de Michel Block:

De regard en regard
une cordée d’étincelles
et je tiens debout
quoique fragile
tout au bord de Ta Présence

Cette fragilité, c’est notre chemin d’humanité

Vers le pilier aux 21 têtes.

Voici des personnages énigmatiques, 21 têtes, en cercle, 3 fois 7, chiffre parfait, trinitaire.

Ils ferment les yeux
Est-ce qu’ils sont en méditation ?
Ils sourient, voyez leurs bouches:
Est-ce qu’ils soufflent? Est-ce qu’ils chantent?
C’est tout le mystère de l’accueil qui nous est fait.

Écoute d’un poème de Jacqueline Assaël:

Le silence s’éteint

Mais je lui parle encore
Dans un souffle

Et des coups de gong
– des coups de grâce –
Clôturant le silence
Une Parole surgira

Cette Parole, on ne l’entend pas, mais si nous ouvrons les oreilles de notre coeur, elle se fait
« murmure de fin silence »
dans la confiance une Parole surgira!

Lecture d’un poème de Jean Alexandre par Lucie Wateau.

Cliquer sur la petite flèche pour voir la vidéo.

En arrière-plan, la belle exposition d’Éliane Karakaya dans le cadre des Chemins de foi en Alsace, intitulée Chemin vers soi, autour de la lutte de Jacob avec l’ange.

Ici le très beau visage de Rébecca, avec son fils Jacob:

– Rentrée littéraire 2023 des Éditions Jas sauvages

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par Jacqueline Assaël

La rentrée littéraire des éditions Jas sauvages

est… fertile !

Les éditions Jas sauvages préparent la parution de deux livres

dans la collection « Prièmes »

pour la rentrée de septembre :

 

 

Nous espérons que leur lancement pourra avoir lieu le 3 septembre, à Mialet, lors de l’Assemblée du Désert.

D’ores et déjà, voici ci-dessous une présentation des deux ouvrages.

Engranger le fertile 

de Lucie Wateau

Rien n’est plus réjouissant que cette image : « engranger le fertile », qui promet fécondité et lumière, annihilant toute famine et tout doute.

Lucie Wateau a su la cueillir dans la profondeur de sa foi, et elle a su la faire fructifier dans ce bouquet qu’elle nous offre avec tant de générosité et d’humilité.

Car Lucie Wateau a fait comme Saint Thomas : elle a « risqué le chemin » de la poésie : non pas une poésie mystique et noire, mais une poésie « légère, détachée et joyeuse au réveil, comme les moucherons qui dansent au soleil » comme celle de la poétesse Marie Noël.

Tant sur le papier que dans la profération de ses poèmes, Lucie Wateau joue avec les silences et les mots un peu comme une pointilliste ou une percussionniste.

Lucie est musicienne et sait transmettre ces notes et ces vibrations qui réjouissent l’oreille et l’esprit.

Lucie est artiste (ne s’appelle-t-elle pas Wateau ?) et ses mots sont couleurs.

Ses poèmes sont des mandorles où se niche sa foi, une foi lumineuse et exigeante et qui nous donne droit à la délicatesse de l’amande partagée, celle que l’on croque mais celle aussi que l’on fait germer (ne faut-il pas « engranger le fertile » ?)

Agathe Bischoff-Morales

Nouaison

suivi de Genèse et Nouaison, à la manière de Søren Kierkegaard

de Jacqueline Assaël

Nouaison apporte la suite d’un recueil précédent, intitulé Frère de silence, qui n’avait pas encore trouvé sa vraie fin. Dans cette situation poétique, la particularité d’un lien fraternel, noué dans ce mutisme consubstantiel à la personnalité de l’un des deux protagonistes créait une proximité affective peu ordinaire. Mais au bout d’un certain temps, le lien peut-il perdurer dans l’éloignement quotidien et dans ce silence qui, à échelle humaine, paraît s’éterniser et s’épaissir peut-être irrémédiablement ?

La dramatique de Nouaison esquisse et affirme une réponse que les ressorts psychologiques et les philosophies de la liberté ne pouvaient pas laisser prévoir, sauf, en un certain sens, celle de Søren Kierkegaard, dans sa subjectivité singulière et sa dimension transcendantale, c’est-à-dire, en l’occurrence, spirituelle.

Ce volume réunit plusieurs modes d’expression d’une même expérience humaine. L’inspiration poétique suggère les sensations vécues à l’improviste, par une conscience déliée, dans des lieux chargés de cette histoire silencieuse, sur les flancs du Mézenc et dans la chapelle du Mazet-Saint-Voy ; elle chiffre ces impressions dans la symbolique d’un temps précis, celui des dernières jonquilles qui entament leur nouaison, saupoudrant le Plateau des promesses d’un filet de graines aériennes.

Le recueil est suivi d’une réflexion qui fait écho à la méditation de Kierkegaard, dans Crainte et tremblement, car ce traité aborde la même question de la survie d’un lien et d’une relation, au-delà de l’anéantissement et du mutisme. Le philosophe y transpose son cas personnel à travers plusieurs schémas narratifs, biblique et littéraires. Notamment, Kierkegaard cherche à imaginer l’état d’esprit d’Abraham au moment où il ligote son fils Isaac et lève le couteau sur lui, auquel il tient infiniment, dans la foi que Dieu lui restituera l’être qu’il s’apprête à lui sacrifier et dont il se tient séparé par un mur de silence.

Nouaison adopte plutôt le point de vue d’Isaac, et sa réaction se dessine alors vis-à-vis de tous les liens qui l’attachent.

Lianes, Éliane Karakaya

« Elle atterrit

En ce temps inouï

Cette dentelle d’entredeux

Entre Ascension et Pentecôte

Où d’éclaircie sauvage

Embuée et fleurie

Le Plateau sauve

Et embellit

La nouaison de ses jonquilles

Il aurait dit ‘Nouage’’

Elle dit ‘Nouaison’ »

J. A.

– Promenade poétique à Notre-Dame de Vie, à Mougins: Écrire avec Yves Ughes

par Marie-Christine Gay

« Ici tout vit cristallisé, si près de Dieu. La terre est un cantique immense au ciel trop bleu. »

Paul Verlet, Extrait du recueil de poésie intitulé « Nostre Dame de Vie », Sept états d’âme

En ce début d’été, le samedi 1er Juillet 2023, lors d’une journée ponctuée de petits miracles, l’association de poésie et musique « Les mots d’azur » a organisé, par l’intermédiaire de sa branche atelier d’écriture «  À mots ouverts », une matinée en écriture sur le parvis de la chapelle Notre-Dame de Vie à Mougins, dans les Alpes-Maritimes. 

Ce lieu n’a pas été choisi au hasard, car une fois sur place on ressent ce sentiment :

« Je connaissais cet endroit hors du temps qui m’avait saisi par sa sérénité accomplie. »

(Alain Sabatier, Préface du livre de Davis Giordanengo et Yves Ughes : Notre-Dame de Vie.)

Un groupe de neuf participants est alors enthousiaste de contribuer à cette aventure novatrice en compagnie des images de David Giordanengo et des très beaux textes de Yves Ughes.

Ce livre a été publié en janvier 2005 aux éditions Tac-Motifs des Régions et résulte de la collaboration entre un photographe subjugué par Notre-Dame de Vie à Mougins et un poète, Yves Ughes.

Présentation du groupe d’écriture

Le groupe, très motivé, participe depuis un an et demi aux ateliers d’écriture «  À mots ouverts » qui ont lieu à Mougins. Durant toute l’année, il s’essaye dans différents styles d’écriture, sous l’impulsion donnée par mes consignes, chaque fois différentes. Pour la 16ème rencontre, c’était la première fois que l’écriture se déroulait dans la nature, dans un lieu de mémoire mouginois. L’atelier en extérieur dans un paysage idyllique a permis de sortir de l’espace clos de l’atelier, et d’aller sur le lieu d’origine des écrits de Yves Ughes.

Dans une ambiance chaleureuse imaginez l’installation d’une table, de chaises de jardin, au milieu d’une nature exubérante. Fermez les yeux et écoutez le chant des cigales et sentez sur votre peau une brise légère. 

C’est moi qui ai imaginé et réalisé ce projet, mais la réalité de ces moments m’a tellement imprégnée que je me suis sentie en osmose dans cette aventure. Cette journée sonnait comme une fête de fin d’année dans l’arborescence et la sérénité de ce lieu. Nous avons eu l’occasion d’approcher ce silence intérieur. Comme le dit François Cheng:

« Et si écrire, c’était tout simplement ne plus taire cette âme en soi ? »

Ce groupe se réunit autour de la littérature, mais n’affiche aucune appartenance religieuse, et ce sujet n’est jamais évoqué explicitement. À notre grande surprise, les textes de Yves Ughes, le regard photographique de David Giordanengo et l’esprit du lieu ont fait apparaitre, dans l’ensemble des textes, une spiritualité sensible et touchante.

Les conversations autour du repas ont été pleines de confidences. Une occasion de se livrer sous le regard bienveillant des autres. Comme le dit Gérard Bocholier dans son livre Le poème exercice spirituel :

 « Qu’il soit croyant ou non, tout poète sent l’existence de la Présence, de ce qu’il hésite à nommer parfois ‘quelqu’un’ et qui n’est autre que tout l’invisible qui le dépasse. » 

Bien conscients de notre chance d’écrire dans ce contexte et sous l’impulsion des textes et des images, les participants ont été surpris par la naissance pour certains d’une écriture différente, chargée de secrets.

« L’écriture a ceci de mystérieux qu’elle parle », dit Paul Claudel.

Entre 10 heures et 13 heures, juste avant un pique-nique partagé, ce fut le temps de la découverte, et celle de larguer les amarres avec Yves. Comme le dit Rilke : « Quitte ta chambre où tu sais tout ». Cet instant de vie nous a permis d’entrevoir une brèche dans le monde de l’indicible.

La méthode

Le point de départ, après une présentation de l’histoire chargée du lieu et de la biographie du poète, a consisté en une véritable imprégnation des textes de Yves Ughes qui dans ce contexte prenaient toute leur dimension et nous emportaient au large. Ensuite chacun devait choisir une photographie illustrée et devait retrouver le lieu dans l’enceinte de la chapelle. 

Catherine concentrée !

Sous l’élan des différentes propositions, chacun devait rapporter au groupe les mots ressentis et inspirés par le lieu de leur photo. Ensuite en groupe, la lecture des mots rapportés permettait à chacun de se constituer un lexique commun et de garder un lexique personnel. C’est à partir de ce matériel enrichi de chaque personne que la vague de l’écriture est arrivée nous bousculant, nous faisant méditer sur le lieu et sur une explication personnelle du monde :

« En partageant la joie, vous la multipliez. Et écrire, c’est partager pour multiplier. » (Christian Bobin)

Les textes produits sont le fruit d’une écriture corporelle et posturale dans le lieu de leur inspiration :

« Le poème, comme la prière, ne peut faire abstraction de ce corps où Dieu a lui-même un jour choisi d’habiter » (Gérard Bocholier)

La production poétique

Je suis heureuse de vous faire partager des extraits du résultat de cette puissante ivresse qui m’a médusée et émue. Il s’agit de premiers jets d’écriture, n’ayant pas eu le temps de la nécessaire réécriture.

Nous en sommes tout de même fiers car ils sont des reflets du débordement de nos cœurs. Dans ce rendu nous mettrons en regard de chaque photo de David Giordanengo (en noir et blanc, extraites du livre), les textes de Yves : « germinateurs » de l’écriture, et bien modestement les productions écrites de nos participants :

De gauche à droite : Ariane Jehanno, Aude Gachet, Karol Padey, Gérard Moreau, Célia Norgiolini, Gwenaëlle Caillibot, Catherine Pallen, Marie-Christine Gay, Jocelyne Tarral, Patricia Rahier. 

« Chacun a une identité d’écriture. Cueillir l’écoute. « Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. » (Baudelaire)

Première photographie

Yves Ughes

la tentation serait de n’y voir qu’un fait     une plaie établie sur le confort de nos vies

de n’y voir qu’un signe d’agencement      un geste accompli pour l’ordre

ce serait oublier la déchirure du ciel     et le voile du temple lacéré en son milieu

et les nuages amoncelés

c’est de débordement qu’il s’agit

Catherine Pallen

Avec des mots d’ombre, j’ai gravé sur le mur

les barreaux de la souffrance

les contraintes du temps

le saccage de l’espoir

le gouffre des oublis

les cicatrices du renoncement

Avec des phrases de lumière, j’ai inscrit sur le mur

le chant des arbres, puis celui des cigales

les amours protectrices

le corps de mes plaisirs et l’âme de mes désirs

le sentier de mon avenir.

Deuxième photographie

Yves Ughes

même reproduit sur un vitrail

le feuillage

ne se conçoit

qu’en profusion

il ne saurait définir ce qui en lui

fait chair

Célia Norgiolini

Le charme bucolique

me laisse de marbre

les fissures dans ma voûte

autant de cicatrices

le sang coule

le chant de la cigale

à travers la serrure de mes songes

regard froid

cris et crises

brisent mon âme

le parallèle de ces deux mondes

puis-je me cacher ?

je demande grâce

une virgule pour que mon souffle reprenne.

Les lignes se mêlent

naïf l’enfant intérieur

s’échappe un instant

une aile de papillon

le chant des cigales

une brise légère

recherche du repos de l’âme

le vide m’appelle

se plonger dans la nature

besoin d’évasion

chair de poule

Troisième photographie

Yves Ughes

les arbres même devenus empâtements

de gauche à droite par la rupture décomposés

comme émergeant du bleu froid des désastres

comme dite par une bouche travaillée au crochet

la superbe des corps devinés

liés à la contracture des tôles

mais aussi

la certitude que tôt ou tard il faudrait bien

rendre grâce à Notre Dame de Vie

de cet instant fugace ouvert sur

l’éternité

Gérard Moreau

Ex-voto

C’est un sentier bucolique, un espace de charme avec des arbres perclus de lumière et la stridence des cigales. Tout à cette extase de la nature, oublieux du temps, s’omet la prudence. La vie est contingence, à chaque instant peut se produire un saccage ou un bonheur, une souffrance ou un espoir dans cette chaîne ininterrompue de la ligne du temps. Une rupture et c’est l’ouverture brutale vers le gouffre de l’éternité. Un simple froissement de tôles qui abrège l’existence fragile. Eh, puis non ! dans cet espacement fugace d’incertitude tout s’est joué si vite. La protection divine s’invite avec un saut dans la foi où le corps ne sera pas décharné mais restera vigoureux sans une seule cicatrice pour un mental fort désormais voué au recueillement.

Quatrième photographie

Yves Ughes

lueurs en creux

             posées comme ponctuation

de phrases        absentes

des mots furent nôtres qui se sont maintenant effacés

par    le    déchirement du      regard

retrouver dans l’alignement des mèches

la vrille

             des branches

la ligne des buissons ardents

Gwenaëlle Caillibot

L’étincelle d’une absence

J’ai beaucoup lutté pour ne plus y penser. Je m’étais préparée au renoncement, à ton absence, et ce matin, en quelques minutes tout a basculé. Ton image d’une incroyable douceur, est une inscription indélébile dans chaque battement de mon cœur. C’est une cicatrice en or dans ce tableau naïf de ma vie. Mon regard s’attache dans cette immense quiétude, à chercher sans cesse le soleil à travers les nuages. Chaque clignement de cil, laisse apparaitre une voûte, dont l’ouverture vers l’inconnue me transporte dans une autre atmosphère.

Cinquième photographie

Yves Ughes

que l’ombre pour l’instant se taise

qu’elle ne soit que pause

admise

suspension

Aude Gachet

Initiation

Un papillon, battant des ailes, recherche une ouverture

depuis qu’il a plongé, à travers la serrure

dans les profondeurs de cette Inconnue noire et froide

il espère retrouver la vie à l’extérieur

apercevoir une porte, une fissure

une virgule de Lumière lui montrant le chemin

Happé par ce mystère

désespéré de rester caché, voire oublié

il se met à prier. 

à invoquer

le Créateur, depuis l’abîme de son Cœur

à rendre Grâce dans le Silence

pour cette expérience du Vide

ce voyage en Lieu Saint

La quiétude retrouvée

saisi d’une lueur de génie

il rebondit, jaillit du fonds du puits

brise le miroir des apparences

et reprend son vol, empreint de reconnaissance.

Ariane Jehanno

Dans cette atmosphère pleine de silence avec une sensation de dévotion autour de moi. Une inconnue est venue, s ´assoit près de moi sous le grand chêne et soudain une clarté particulière envahit le lieu. J’ai eu l’impression d’être comme dans un nuage près de ma mère si tôt disparue et de sentir sa main dans la mienne. Puis l’inconnue disparut sans un mot en emportant cette image et sa magnifique sensation d’éternité.

Sixième photographie

Yves Ughes

il faut maintenant aller vers la dilatation du monde

la contraction des arbres

par-delà se devine

la vie des artères

et les tarifs du bitume

          seront autant de griffures faites

                        sur le corps de l’innocence

Karol Padey

J’ai beaucoup lutté pour ne plus y penser, des années durant et puis un jour sur le chemin mes pas se sont allégés, parfois même je ne touchais plus terre. La tête remplie de ta joie et le cœur riant à pleines dents, tout s’est baigné d’une enveloppante lumière comme un rempart à la noirceur. Je n’ai plus peur du silence je sais que c’est à cet endroit que tu me rejoins.

Septième photographie

Yves Ughes

là où les soutènements sont

des palmes

un regard levé

placé dans l’instabilité des anges

dans l’effondrements heureux

ce regard souligne

ce qui paraît être

par en dessous

une contracture

Patricia Rahier

Sous ces oliviers et cette atmosphère champêtre, j’ai ressenti, entendu comme un appel et j’ai découvert cette gravure qui m’est apparue tel un miroir.

Cette œuvre d’art m’a interpellée et envoûtée à la fois !

Elle était devenue prisonnière du temps et cachait en elle un secret rempli de désespoir!

Dans ce clair-obscur, les pèlerins venaient de toute part et se prosternaient devant elle en signe de reconnaissance et d’adoration.

Elle reflétait la rancœur et la blessure des hommes pour l’éternité et avec passion et quiétude, elle nous redonnait l’espoir pour l’éternité.

La Vierge Marie ! 

Huitième photographie

Yves Ughes

j’ai dans le crépuscule à l’instant

entrevu

le porteur de la mort

sur le chaos des innocents

son pas scandé par la nuit

dans le sommeil des arbres

        sa fatigue

        et sa dérobade

en disaient long

il nous faudra tenir la traversée

Jocelyne Tarral

Lieu bucolique, où chantent les cigales, entre ombre et lumière, dans son décor naturel et bien triste en regard de l’histoire. Une chapelle médiévale bordée d’arbres : oliviers millénaires et cyprès alignés comme une armée de militaires. Ils nous ramènent à la mort de ces pauvres innocents morts nés mais aussi aux prisonniers très amaigris.

À chacun son chemin de vie !

Neuvième photographie

Yves Ughes

passent ainsi dans le vin la saveur

calcaire du soleil l’ardeur du sol

râpé

dans le basculement des sens

s’ouvrent la fraîcheur des

tonnelles la promesse des

tonneaux

des corps nus se malaxent dans

la fusion des feuilles

posée sur les lèvres de la vigne ta

chair devient ronde

le désir s’offre aux galbes des 

jours

c’est par là que l’homme se

multiplie

tel un sarment

d’espérance

Marie-Christine Gay

Brise légère sur mes épaules nues

mains en forme 

de gratitude

dissimulées les cigales 

au creux de l’arbre

le murmure d’une évidence

cyprès dressés 

vers le firmament

des cascades coulent du ciel

fleurs sur la 

paille du pré

l’aube d’une sérénité

pierres aux pieds de la chaise

lave 

larmes

au pourtour de l’existence 

fil d’une toile d’araignée

en transparence de l’âme

sourire esquissé 

sur tes lèvres

voyage sur un voile d’espérance

Ariane et Jocelyne en écriture

Pour tous les participants, cette journée restera comme un grand souvenir d’inspiration et d’écriture partagée.

Je laisserai la conclusion à Gérard Bocholier :

« Toute écriture poétique n’est-elle pas exercice spirituel, dans la mesure où le travail de la langue est aussi travail sur soi-même […] Le poète sait qu’il doit s’effacer devant quelque chose – ou quelqu’un – de plus grand et de plus fort que lui ? »

– Les Est’ivales des Éditions Jas sauvages : en Lorraine et en Alsace

par Jacqueline Assaël

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Nancy et le Plateau lorrain : réinventer les cantiques

et maîtriser l’exégèse biblique

Après leur Festival Poïéma II, en mai, à Marseille, les éditions Jas sauvages ont été accueillies avec beaucoup de chaleur, humaine et météorologique, dans l’est de la France, à Nancy en juin, puis à Strasbourg en juillet, pour leurs Est’ivales 2023. Une bien belle saison d’expression poétique et de réflexion biblique.

À Nancy, deux événements ont eu lieu, les 18 et 19 juin, le premier lors de la journée de fête de la paroisse de Nancy et du Plateau lorrain, autour de l’idée de la réécriture de cantiques. À la suite de Luthérine, le personnage de la comédie théologique Allo Bybol, et très sérieusement, les participants à cette après-midi festive s’étaient mis en tête de réactualiser les textes de certains cantiques pour mieux se les approprier. Dans cette idée, je leur ai présenté le contenu d’un article d’Olivier Millet expliquant la différence structurelle et spirituelle des cantiques protestants et catholiques. Pour lui, un cantiques protestant s’exprime à la première personne, singulière ou collective, dans une adresse directe à Dieu. De plus, un cantique protestant reprend des images des thèmes, des épisodes bibliques et il se sert des éléments de cette culture pour accompagner le croyant, en assemblée, vers toujours plus de conscience de la foi, avec une construction très dynamique. Les chants ne jouent pas le rôle de musique d’ambiance ou de ritournelle, ils forment et soutiennent une pensée de la foi.

Bien conscients de ces principes, trois groupes distincts ont ensuite cherché à les mettre en pratique, en réécrivant notamment, une fois encore, comme Luthérine, les paroles de Aube nouvelle, ou en inventant de nouvelles strophes pour le chant hérité d’Ésaïe : Quand les montagnes s’éloigneraient…, ou en cherchant avec humilité à établir la gradation de plusieurs strophes avant d’aboutir aux paroles actuelles du chant Jésus, je te donne tout, que certaines personnes, pour se sentir très honnêtes, avaient du mal à prononcer d’emblée.

En fait, nous avons ainsi chanté des cantiques pendant tout l’après-midi, y compris pendant la projection des propos d’Olivier Millet et le résultat a été la production très réussie d’une petite moisson de chants pleins de souffle que tous ont interprétés avec enthousiasme.

Le soir du lundi 19 juin, une conférence a ensuite eu lieu à l’espace culturel Saint-Jean. Il m’avait été demandé de traiter du sujet suivant : « Comprends-tu ce que tu lis ? », en référence à la phrase adressée par Philippe à l’eunuque phrygien (Actes, 8, 30-31), embarrassé dans sa lecture de la Bible. Avec projection de documents à l’appui, j’ai cherché à montrer d’où pouvaient venir certaines difficultés d’interprétation d’un texte biblique et quels étaient les moyens à la disposition des chercheurs en matière littéraire pour en venir à bout. Il faut tout d’abord établir le texte qui paraît le plus conforme à l’esprit de la démonstration entreprise par les auteurs, à partir de manuscrits parfois abimés, parfois divergents dans le détail. Puis il faut discerner les interprétations qui rendent honnêtement compte de la pensée des auteurs et celles qui cherchent à imposer des commentaires exégétiques visiblement partisans, et à les surimprimer par rapport au message du texte. Il est important aussi, de bien discerner la valeur spirituelle de ce type de textes, et de distinguer vie et sommeil de l’esprit ou existence et mort biologiques. Sans cela les traductions aboutissent à des contre-sens.

L’auditoire a fini par s’interroger sur la valeur comparée des diverses traductions bibliques disponibles, mais je ne peux que conseiller de mener une réflexion personnelle en tenant compte de la logique du contexte, de consulter de bonnes éditions commentées et de faire des études bibliques régulières, en paroisse, pour s’habituer à identifier les difficultés à résoudre, être en alerte et assimiler pleinement le sens profond des textes destinés à guider la vie des croyants.

Rendez-vous est pris pour l’année prochaine, ce qui donnera sans doute lieu à un prolongement de cette réflexion en commun qui nous enrichit tous, par les propositions des uns et les réactions des autres, le chant et la méditation des textes.

L’Alsace : semer la poésie de la foi à tous les vents

Nos Est’ivales à Strasbourg ont été magistralement prises en main par Lucie Wateau qui a organisé la plupart des événements qui se sont déroulés. Tout un petit calendrier de rencontres a ainsi pu se construire : une après-midi poétique chez les diaconesses de Strasbourg, le 6 juillet ; un « impromptu poétique » proposé tout d’abord à un cercle privé, mais finalement offert à tout visiteur de l’abbatiale de Rosheim, l’après-midi du 8 juillet, et une soirée à Strasbourg, grâce à l’accueil du pasteur Rudi Popp qui a intégré notre manifestation parmi les festivités de l’été organisées au Temple Neuf. Trois publics différents, donc, qui nous ont fait don de toute leur attention pour les diverses présentations que nous avons faites des recueils publiés aux éditions Jas sauvages.

Il a été très émouvant d’entendre des diaconesses, à l’issue des lectures, s’étonner de découvrir ces textes originaux, exprimant la foi de manière si personnelle, et les accueillir si favorablement, comme une gourmandise spirituelle.

Jacqueline Assaël et Lucie Wateau chez les diaconesses

Dans l’abbatiale de Rosheim, Lucie Wateau avait réuni un certain nombre de ses amis, tous amateurs d’art, sensibles à la poésie, connaisseurs et « fans » de la générosité de ses performances poétiques, en mouvement, dans l’élan de son visage qui s’illumine. Pour la circonstance, elle avait sélectionné certains de ses textes, certains de Michel Block, de Jean Alexandre ou des miens, pour faire écho à la visite guidée de l’abbatiale qu’elle venait de nous offrir. Elle a ainsi fait découvrir les textes des uns et des autres en les reliant aux thématiques du silence, du regard, du refuge, du souffle, etc. à travers une lecture sensible et très personnelle. Le public était captivé.

Lucie Wateau ci-dessus et Jacqueline Assaël ci-dessous dans l’abbatiale de Rosheim
Un tout petit auditeur de poésie, très attentif

La poésie s’est alors inscrite dans un ensemble artistique très riche, car nos lectures se sont déroulées face aux tableaux exposés d’Éliane Karakaya, sur le thème de la lutte de Jacob avec l’ange, et elles ont été suivies par les répétitions, puis le concert d’un chœur d’hommes, « Pluricanto », interprétant cantiques et musiques sacrées. Ce fut vraiment une grâce de se sentir enchâssées dans ce réseau d’art et d’amitié. La poésie s’est ainsi répandue, au pied des collines de Rosheim, escaladées par les vignobles alsaciens.

Lucie Wateau

Le réseau d’amis s’est aussi déplacé de nouveau à Strasbourg, l’après-midi du dimanche 9 juillet, élargi à des personnes informées du programme culturel de la paroisse du Temple Neuf et de notre accueil parmi ses rendez-vous de l’été. L’éventail des textes était, là, plus resserré, de manière à pouvoir entrer plus en profondeur dans l’univers de chaque poète. Nous nous sommes donc concentrées sur le recueil en préparation de Lucie Wateau, Engranger le fertile, sur le recueil de Michel Block, Périchorèse et sur le mien, Frère de silence. Le pianiste Rémi Zeller nous a accompagnées avec des improvisations très justes, reprenant la douceur de certains textes, exprimant le poids lancinant du silence ou l’allégresse causée par la perception des réponses de Dieu. Son final éblouissant a transporté le public d’enthousiasme.

Rémi Zeller, très attentif, méditant son improvisation

Puis un dialogue s’est engagé, révélant l’intérêt éprouvé par les personnes présentes et la nécessité d’un partage sur ces questions de la foi. Une jeune dame a demandé timidement à Lucie Wateau comment elle imaginait Dieu et ensuite nous avons assez longuement parlé ensemble ; l’artiste plasticien, Makis Yalenos, a signalé une convergence entre sa recherche sur la traversée de la douleur et l’œuvre de Lucie, et il a souligné l’importance de tels moments d’expression poétique. Plusieurs personnes dans le public ont mis en relief certains aspects complémentaires du court texte de Michel Block : 

Michel Block

L’une d’entre elles y a particulièrement entendu le désenchantement de Michel Block par rapport à l’humain, avec cette expression finale donnant une vision très sombre de « ce monde de nuit entière », tandis qu’une autre a retenu l’image de ce souffle parcourant l’espace. Ce fut une occasion d’évoquer cette articulation de la pensée chrétienne, dans laquelle la grâce de Dieu répare les faiblesses humaines.

Un public d’une quinzaine de personnes, puis d’une vingtaine au Temple Neuf, à la fois suffisamment limité pour que puissent s’instaurer des échanges dans une intimité chaleureuse et en même temps assez étoffé pour que les poètes et le pianiste se sentent portés par une écoute multiple, s’est donc réuni dans une atmosphère de grande sympathie, ainsi que d’appétence des mots et des silences, appelant de ses vœux des prolongements à donner à ces Est’ivales !