Éric Chassefière participera au Festival de poésie de la foi de Montpellier et alentours. Il présentera son recueil « Le jardin est visage », le vendredi 21 mars à 17h. Comme un avant-goût de son intervention, voici un extrait d’une interview préparatoire.

– D’Homère à Jean-Jacques Rousseau, par exemple, l’évocation du jardin devient un topos littéraire visant à célébrer les délices de la nature et un lieu d’accomplissement possible de l’humain. Votre jardin est-il paradisiaque? En quel sens? Celui d’une spiritualité matérialiste? Je pense par exemple à l’expression: « comme la substance brille de soi » (p. 3).
Je vous rejoins sur cette idée d’une spiritualité matérialiste. Je cherche par les mots à caresser, ma démarche est sensuelle, proche du corps et plus généralement de la substance. Le jardin est corps, le poème est corps. Corps que je fais corps de mots sur la page. Il s’agit bien de toucher par les mots, donner vie du geste de toucher, finalité ultime de celui d’écrire. En cela le geste d’écrire est pour moi fondateur. J’ai écrit, dans un entretien avec Clara Régy, qui date de quelques années :
« La poésie est avant tout pour moi un acte de vie. J’ai besoin d’écrire pour me sentir vivant, tisser un lien charnel avec le monde. Un désir d’appartenance, qu’on pourrait qualifier d’amoureux. J’ai longtemps écrit exclusivement dans la nature, l’été, sur le lieu d’enfance, submergé par le sentiment d’une beauté dépassant mon entendement, que par les mots je tentais d’atteindre et me réapproprier. Il y avait déjà ce plaisir sensuel à faire naitre les mots du corps, de sa vibration profonde, faire corps du poème, entendre et ressentir à travers lui. C’est ainsi qu’est né mon désir d’écrire, retrouver sous la caresse des mots l’enfance perdue, mon jardin d’Eden. »
Il y a donc bien une aspiration à retrouver un paradis perdu, vous avez vu juste, et peut-être ce recueil vient-il précisément concrétiser, voire accomplir, cette aspiration à retrouver une origine, à en faire le berceau d’une vie nouvelle, réunifiée, qui nous place en situation d’accueillir la mort, entrer dans ce jardin, « dont l’ange a refermé les portes sans retour », pour reprendre le final du poème de Bonnefoy placé en exergue.
– Pourquoi le jardin est-il en général symbole de la sécurité? Pour vous, s’agit-il d’un lieu clos ou ouvert sur le monde? Pourrait-on dire que votre jardin est un lieu de paix?
Pour moi le jardin, c’est avant tout le chant du mistral dans le feuillage des platanes du jardin, au profond de mes nuits d’enfance, c’est en quelque sorte le berceau, le souffle dont je suis né. Donc oui, il est porteur d’une certaine sécurité, je m’y sens bien. Ce lieu est ouvert sur le monde, comme peut l’être l’enfance. À l’horizon du jardin d’enfance, il y a les montagnes des Baux de Provence d’un côté, celles de la Montagnette de l’autre, et je rêve alors souvent, aux portes du jardin s’ouvrant dans la haie, de franchir leurs lignes de crête. Oui, dans ce jardin d’enfance, je rêve d’avenir, il est ouvert sur le monde. En même temps, il y a cette roubine qui délimite la propriété en en faisant le tour, roubine qu’enfant je ne peux franchir en l’absence de pont, et le monde n’est ouvert qu’à mon regard. C’est par le regard que j’investis l’horizon, comme plus tard, revenant chaque été en ce lieu, je l’investirai par les mots, car mon pas sera devenu celui des mots. Lieu de paix, ce jardin d’enfance ? Pas vraiment, lieu chargé des souffrances familiales, dont précisément je m’évade enfant par le regard, puis, adolescent et adulte, par la poésie. Lieu d’envol, lieu du cri fondateur, dont toute ma vie je suivrai l’écho…