– « Le jardin est visage »: une interview d’Éric Chassefière dans le cadre du Festival de poésie de la foi de Montpellier

Je vous rejoins sur cette idée d’une spiritualité matérialiste. Je cherche par les mots à caresser, ma démarche est sensuelle, proche du corps et plus généralement de la substance. Le jardin est corps, le poème est corps. Corps que je fais corps de mots sur la page. Il s’agit bien de toucher par les mots, donner vie du geste de toucher, finalité ultime de celui d’écrire. En cela le geste d’écrire est pour moi fondateur. J’ai écrit, dans un entretien avec Clara Régy, qui date de quelques années :

Il y a donc bien une aspiration à retrouver un paradis perdu, vous avez vu juste, et peut-être ce recueil vient-il précisément concrétiser, voire accomplir, cette aspiration à retrouver une origine, à en faire le berceau d’une vie nouvelle, réunifiée, qui nous place en situation d’accueillir la mort, entrer dans ce jardin, « dont l’ange a refermé les portes sans retour », pour reprendre le final du poème de Bonnefoy placé en exergue.

Pour moi le jardin, c’est avant tout le chant du mistral dans le feuillage des platanes du jardin, au profond de mes nuits d’enfance, c’est en quelque sorte le berceau, le souffle dont je suis né. Donc oui, il est porteur d’une certaine sécurité, je m’y sens bien. Ce lieu est ouvert sur le monde, comme peut l’être l’enfance. À l’horizon du jardin d’enfance, il y a les montagnes des Baux de Provence d’un côté, celles de la Montagnette de l’autre, et je rêve alors souvent, aux portes du jardin s’ouvrant dans la haie, de franchir leurs lignes de crête. Oui, dans ce jardin d’enfance, je rêve d’avenir, il est ouvert sur le monde. En même temps, il y a cette roubine qui délimite la propriété en en faisant le tour, roubine qu’enfant je ne peux franchir en l’absence de pont, et le monde n’est ouvert qu’à mon regard. C’est par le regard que j’investis l’horizon, comme plus tard, revenant chaque été en ce lieu, je l’investirai par les mots, car mon pas sera devenu celui des mots. Lieu de paix, ce jardin d’enfance ? Pas vraiment, lieu chargé des souffrances familiales, dont précisément je m’évade enfant par le regard, puis, adolescent et adulte, par la poésie. Lieu d’envol, lieu du cri fondateur, dont toute ma vie je suivrai l’écho…