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– Les éditions Jas sauvages au Festival « Livre à vivre », en Suisse, par Jacqueline Assaël

Le festival « Livre à vivre » s’est déroulé le samedi 3 mai à Crêt-Bérard, Maison de l’Église et du Pays, ouverte à tous, qui réalisait son Festival du livre sur les bords du Lac Léman, dans un paysage enchanteur.

La Maison a été fondée par des pionniers, Le 2 mai 1948, construite par 5000 jeunes paroissiens, et elle est aujourd’hui enracinée dans sa vocation d’accueil et dans une tradition protestante à la culture solide, approfondie de manière à accompagner chacun dans les joies et les difficultés de l’existence.

Le pasteur résident, Alain Monnard, a ainsi organisé une rencontre d’une vingtaine d’auteurs venus de France et de Suisse présenter à un public d’environ 250 personnes des ouvrages de théologie et spiritualité, des « livres à vivre », écrits pour proposer des méthodes de réflexion et de comportement pour exister pleinement.

L’ambiance était très agréable: j’ai eu l’honneur d’ouvrir ce Festival, dans la grande salle, pour présenter mon livre sur l’amitié dans le Nouveau Testament: « Vous, vous êtes mes amis ». Les auditeurs ont rendu cette séance très vivante, en posant des quantités de questions sur les passages bibliques commentés et en s’interrogeant sur la possibilité de nouer des amitiés profondes, entre croyants et non-croyants, en cherchant comment garantir la pérennité de relations d’amitié. Chez les évangélistes Luc, Jean, notamment, ils ont trouvé des éléments de réponse

Photographie: C. Égasse

Dans la journée, j’ai assisté à d’autres conférences très intéressantes, dont celle de sœur Catherine qui expliquait sa démarche d’ermite, elle qui a vécu une trentaine d’année isolée dans les Alpes du sud. D’autres interventions ont développé des moyens de vivre la joie, malgré les handicaps physiques. Des enseignements à la fois spirituels et très concrets, donc, consistants et efficaces.

Un stand très étoffé a été mis en place par la librairie Payot de Lausanne, tout au long de la journée. Parmi cette sélection d’ouvrages de haute tenue, une table a été réservée aux éditions Jas sauvages. Nos auteurs ont attiré l’attention du public, notamment Alain Piolot, avec Je m’appelle Jean de La Fontaine, Michel Block avec Périchorèse et mon recueil, Frère de silence. Les éditions Jas sauvages ont bien tiré leur épingle du jeu dans cette compagnie de haute volée… Merci à tous les organisateurs de cette journée d’une grande valeur culturelle et spirituelle!

– Le parcours poétique d’Yves Ughes

  1. UNE ROUTE QUI CHERCHE SON SENS

Quand j’ai publié mon premier livre aux éditions de L’Amourier, chez un petit éditeur de l’arrière-pays Niçois, l’aventure était si inattendue et merveilleuse que j’ai pensé qu’il serait le premier et le dernier recueil. 

La vie, les rencontres avec les artistes plasticiens et d’autres éditeurs ont finalement développé le chemin. J’en suis aujourd’hui à 6 recueils publiés. Je présente ce fait non par orgueil personnel ou forfanterie mais pour souligner ce que peut être l’acte d’écrire une fois enclenché. L’écriture met en marche une quête sans fin, qui ne peut s’arrêter en route. 

Me voici donc à un moment précis qui m’autorise une double question : cette suite de recueils obéit-elle à une accumulation en vrac d’instants poétiques ou bien répond-elle à une logique ? Une exigence intérieure ?  Par ricochet se pose une autre problématique : chaque recueil lui-même n’est-il organisé que par le hasard des compositions ou bien présente-t-il une structure signifiante ? 

Ces deux questions m’ont paru d’autant plus légitimes que ce parcours s’est révélé être, chemin faisant, un parcours unissant la poésie et la foi.
Interroger mon propre travail revient à interroger mon propre cheminement dans l’installation de la foi en moi-même. Se pose dès lors une troisième question : quel rôle a joué la poésie dans cette installation ? 

Je réponds d’emblée aux critiques que pourrait soulever cette démarche. On dit fréquemment que les auteurs sont les plus mal placés pour lire leurs textes. Je ne le pense pas ;  ils sont des lecteurs comme les autres, ils offrent une lecture et rien de plus ni de moins.
On pourrait également trouver suspect qu’un auteur se penche de la sorte sur son propre travail et y voir un « tout-à-l’ego » totalement déplacé, une surdimension donnée à sa propre création. 

Nous savons, nous chrétiens, ce qu’est l’orgueil et il n’est pas question ici de prendre cette route pour glorifier artificiellement un travail qui, somme toute, demeure en marge. Mais nous savons aussi que ce travail a une valeur de témoignage. Je me pencherai donc sur ma route à la fois avec humilité et distance critique.


II) FINALEMENT COMMENT NAÎT UN POÈME, COMME PREND FORME UN RECUEIL ? 

Posons-nous pour commencer quelques questions sur ce qu’est un recueil poétique. 

On sait en effet comment s’organise un roman :  il suit d’une façon linéaire le déroulement de l’action,  même si le Nouveau Roman a quelque peu bousculé les structures. De même qu’une pièce de théâtre suit toujours trois étapes : l’action se noue, se déroule, se dénoue, au gré des coups de théâtre. 


Mais qu’est-ce qu’un recueil poétique ? À quelle logique obéit-il ? N’est-il qu’une suite de poèmes accumulés, entassés les uns sur les autres. Un recueil n’est-il qu’un ensemble décousu présentant en vrac des textes venus du hasard ?

Pour répondre à cette question, il faut se demander ce qu’est la création, notamment la création poétique.

On a longtemps pensé que le poème était conçu avant son expression, qu’il était écrit dans la tête du poète et que l’auteur n’était qu’une sorte d’imprimante exprimant ce que l’inspiration lui dictait. 

Avec le renouveau de la critique littéraire, le texte abandonne ce statut d’expression pour prendre celui de création. Et d’un mot à l’autre, il y a plus qu’une nuance. En fait ce sont deux conceptions du processus littéraire qui s’affrontent. Ecoutons le critique littéraire Gaëton Picon cité par Jean Rousset : 

Le cas de Charles Baudelaire est à cet égard particulièrement révélateur. 

Baudelaire a publié ses poèmes par à-coups, au gré des humeurs et des journaux qui voulaient bien l’accueillir. 

Mais la construction des Fleurs du Mal a demandé une véritable mise en ordre. 


Chaque poème est en effet comme un pas, un pas qui crée le chemin. Un pas qui ne sait pas où il va. Puis, un pas après l’autre, se dessine quelque forme qui apprend au poète quelque chose de lui-même.
Partant de ces découvertes éparses mais révélatrices , le poète construit la structure de son recueil. Il lui donne une forme. La forme qui s’est révélée à lui et qui dit quelque chose de sa propre structure profonde et de sa vie intérieure. 

Ces préliminaires de méthode posés je me suis plu à les appliquer à ma propre aventure poétique et spirituelle.

III) CHEMIN FAISANT 

A) LE LIVRE GERMINATIF : DÉCAPOLE 

Quand j’ai écrit mon premier recueil j’étais tout simplement et benoitement fasciné par les villes, leur passé, leur devenir, le dessin qu’elles traçaient dans le paysage, le sens de ce dessin, ses transformations. Passionné par Baudelaire et les « tableaux parisiens », animé  par son constat lucide : la forme d’une ville change plus vite, hélas, que le coeur des mortels. Ce lien unissant la ville et le coeur des mortels me semblait être un sujet à explorer. J’avais donc dans mon tiroir de réserve 6 ou 7 poèmes relevant de villes diverses : Naples, Nice, Grasse…mais me manquait une logique organisatrice et je me voyais mal présenter à une éventuelle publication un recueil qui aurait pu passer pour un guide touristique. La clé me fut donnée, déjà, par une lecture biblique : Quand Jésus revient du pays de Tyr et de Sidon vers la mer de Galilée en traversant la Décapole (Mr 7:31).
Ce mot « décapole » m’a sur-le-champ happé. Il s’est simultanément imposé comme le titre d’un futur recueil et comme son principe organisateur. Tout a pris place autour de ces dix villes réelles ou imaginées, et par un passage vers l’autre rive. 

Ce titre et cette force fédératrice venait donc du Nouveau Testament. Je n’étais pas encore converti mais fortement attiré par l’univers poétique des Évangiles et par certains signes de la culture religieuse, certains édifices notamment. 

Ce premier livre se présente donc comme un recueil germinatif. Il met en place des appels de la foi mais d’une façon discrète, disparate et dispersé comme autant d’éclairs dans la nuit. Ces éclairs se rapprochent pourtant et le paysage apparaît avec toujours plus de netteté. Sous la plume et par le travail d’écriture le recueil se transforme : ce qui devait être une présentation profane de villes attirantes devint un chemin qui me rapprochait de notre condition humaine et de la foi. Le canevas touristique était progressivement troué par une force spirituelle. Ainsi les clous qui scellent les pavés du centre historique de Grasse renvoient aux clous de la Croix, le temple de Grasse vient prendre sa place dans le poème comme une « nef à la coque inversé ». 

Peu à peu ces villes qui devaient refléter mes plaisirs ponctuent une route qui m’amène à sortir de moi pour céder à une attraction qui s’impose avec une prégnance allant en s’accroissant. Comme en témoigne cet extrait : 

De cette évolution dans la conception du recueil s’impose une Pensée de Blaise Pascal qui va irriguer les recueils qui suivent : « Qu’il y a loin de la connaissance de  Dieu à l’aimer ». 

Une présence s’était imposée dans le travail poétique, mais il faudra encore travailler les mots pour entrer en dialogue avec cette présence, et la foi transmise. Pour aimer cette présence, tant il est vrai que le mot aimer doit ici être réinventé. Il me faudra bien 4 autres recueils pour y parvenir.  

 B)LES LIVRES DE LA TRAVERSÉE.

1. PAR LES RATURES DU CORPS. 

« Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer ». Se met souvent en travers du chemin ce qui est censé nous rapprocher de Dieu et du Christ. Fils d’immigré italien je me retrouvais tous les mois de vacances dans un petit village du Piémont. Tout y était représentation de scènes religieuses, les tableaux accrochés aux murs des chambres, les fresques qui se trouvaient sous les porches d’entrée, les oratoires consacrés à la Madone. Une telle richesse me fascinait, car tout enfant j’étais attiré par cette mystérieuse présence du Christ. Mais, en même temps, dans un seul et même mouvement la fascination se doublait d’une paralysie. Tous ces êtres, ces saints figés dans l’extase, les yeux tournés vers un ciel inaccessible pour le vulgum pecus, ces Marie portées par des anges potelés et aériens, tout contribuait à me dire que ce monde ne m’était pas ouvert, même s’il m’appelait. Il m’appelait mais se trouvait définitivement hors de portée. Cette contradiction est longtemps restée en moi. Paralysante, cette inaccessibilité peut donc conduire, paradoxalement à l’abandon et nous amener à dire comme L-F Céline : « je n’avais plus suffisamment de musique en moi pour faire danser la vie. 

 Il a fallu un travail poétique menée en parallèle avec des échanges nourris avec des pasteurs pour arriver sur l’autre rive.

Cette reconquête de l’espoir a pu se faire grâce à deux livres de traversée. 

Par les ratures du corps est certainement mon plus sombre recueil, il se trouve au bord de l’abandon. Il est la traversée de la laideur du monde. 

Puisque les voix du Ciel sont inaccessibles il est si facile de céder à l’horreur du monde pour se complaire en sa culture. Il est si facile de céder au pessimisme tout en pensant que l’issue spirituelle est hors de vue, loin de toute portée. 

La vie s’en trouve alors raturée, comme le corps : il n’avance dans la vie qu’en se gommant ou en se  mutilant. 

L’enveloppe compte donc peu et c’est un pas de plus dans la vie de la foi : le macho et la quasi-clocharde sont ici sauvés par un geste d’amour spontané. Et tout le recueil est traversé par un poème de Dante qui dit l’amour de Béatrice. L’amour surgit ici comme force organisatrice et salvatrice :  comme l’affirme Dante : le jour où tu croiseras le regard de celle qui t’aime tu comprendras le sens de ton chemin 

En poésie les mots nous coûtent trop, ils ne sauraient tricher. Venus du fond de l’imagination, organisé pour l’harmonie dans une structure heureuse ils disent fatalement quelque chose de nous-mêmes, de nos profondeurs. Et nous le découvrons au gré de l’écriture.

Ces pages des Ratures du Corps font émerger un besoin de vie et d’amour qui fait écho à la lecture des premiers versets de Jean, et au commentaire qu’en fait Antoine Nouis : En elle (dans la parole) était la vie.  » Dans le Premier Testament la vie est l’objet d’un commandement fondateur : Tu choisiras la vie (Dt, 30.19). Écouter la Parole, vivre la Parole, habiter la Parole, sont autant de façons de choisir la vie. »  

Mais cet écho entre poème et les versets bibliques -leur commentaire- a précédé ma conscience, le lien n’est apparu évident qu’après la composition du recueil. J’ai la faiblesse de croire que le poème a préparé la rencontre avec les Evangiles. 

Il en va de même avec le livre intitulé Capharnaüm, douze stations avant Judas. Il ne s’agit plus ici de l’horreur du monde ni de sa laideur mais de l’absurdité qui parfois le traverse, notamment quand la mort frappe. Au coeur de la vie, quand elle semble s’apaiser, s’offrir. « Mort, où est ta victoire? » Interroge Paul. De fait la mort se trouve au coeur de nombreuses interrogations, pour nous chrétiens, elles sont intimement liées à la Résurrection. 

2. CAPHARNAÜM, DOUZE STATIONS AVANT JUDAS. 

Quand la mort a frappé dans mon foyer, j’ai ressenti le besoin d’écrire un nouveau livre de traversée, allant de la douleur, de la révolte au retour vers la vie. 

Voici la douleur. 

Pour traverser cette douleur, pour faire en sorte qu’elle ne connaisse pas une victoire totale, j’ai opté pour le personnage de Judas. Avec la liberté que permet la poésie et notre approche de protestant. Judas, dans ce recueil, est un révolté, il n’est que cela. Il rejoint Jésus sur cette base et ne peut accéder à l’amour,  cet amour qui est victoire sur la mort , il ne peut ni le comprendre ni l’éprouver. D’où son désir d’en finir, de tout saccager par la trahison. 

Une telle voie de saccages ne peut conduire qu’à la disparition de soi, à la pendaison. Et la poésie nous permet de traverser cette tentation d’autodestruction.

Avec la liberté qui est la nôtre je me suis permis de faire renaître Judas. Par son personnage j’ai failli perdre l’amour, j’ai failli le voir rongé par la révolte. Par sa résurrection  je le vois revenir apaisé dans notre paysage méditerranéen, véritable merveille de la création. 

      III) LES LIVRES DE L’ACCEPTATION 

    1. UNE TERRE DE BONNE ESPÉRANCE 

L’ensemble de ce recueil pourrait  être résumé par un livre de Christian Bobin intitulé « le Très Bas ». Par opposition au Très Haut, François d’Assise a passé sa vie entière à perpétuer l’œuvre du Très Bas, à hauteur d’homme.  

Et ce monde bouleversant peut être tout simplement le nôtre quand il est habité par l’humanité, la générosité et le partage, tout ce qui nous vient d’une grâce donnée gratuitement. Comme ce portrait  d’une mère ici conçu avec gratitude. 

Porte du Signadour 2

Stabat Mater Dolorosa

Dieu n’est pas, en ce qui me concerne, dans la sublimation et l’extase mystique (mais je sais humblement qu’il existe plusieurs portes pour entrer dans la maison du Père). Le Christ s’est fait homme, ses gestes et ses paroles ont révélé le chemin qui mène au Père dans notre quotidienneté, dans nos faiblesses et la simple épopée  de la vie usuelle qui sont transcendées par l’amour. 

La poésie est ainsi faite que chaque poème en engendre un autre, tout est germinatif en poésie. 

Ce portrait de la mère m’a conduit au prochain recueil :  À défaut de se faire, publié aux éditions Jas Sauvages. 

    2.  À DEFAUT DE SE FAIRE 

Quandon s’est mis à l’écoute des mots qui résonnent en nous, quand on a traversé l’horreur du monde et de la mort pour, finalement, accepter la grâce de vivre on se retrouve de plein pied dans le monde. En accord avec lui et apte à s’ouvrir à sa beauté. Le moment est venu de la réconciliation et de l’apaisement. 

Quand on arrive ainsi à ce stade de la vie, on se retourne et l’on se dit que le chemin a été bien parcouru ; avec ce recueil je me suis dit que j’avais accompli ce qui devait l’être. 

Quand on fait ce constat, on peut s’attribuer tous les mérites ou bien se placer sous le verset de Paul : « qu’as-tu que tu n’aies reçu? ». C’est bien sûr mon option.
Il est donc temps de rendre grâce, tel est le thème majeur qui traverse ce recueil, voici donc une expansion du texte lu précédemment : reprenant le thème de la mère il l’épanouit avec la force et la densité de la gratitude. 

III) CONCLUSION : 

Nous voici parvenus au terme de notre cheminement, de notre chemin, de notre route. Nous n’avons toujours pas éclairci le mystère qui lie souterrainement ce double mystère de l’écriture et de la foi. Tout au moins, partant de ma modeste expérience, puis-je affirmer que la poésie, parce qu’elle échappe à la tyrannie de la raison et parce qu’elle s’enracine dans les émotions, trace des voies pour l’imprévu et accepte l’inattendu.  Elle accueille ainsi des traces qui deviennent des signes quand elles entrent dans une cohérence, une approche du monde. Les traces sporadiques du premier recueil sont devenues signes quand elles se sont inscrites dans la Foi. 

Il est d’ailleurs intéressant de noter que tout se déroule dans un processus d’interaction : si la poésie aide la foi à prendre forme, la foi en retour agit sur la forme de la poésie. Je suis en effet frappé quand je remarque que mon parcours se réduit dans l’espace : de 10 villes j’arrive à un ancrage dans ma ville actuelle : Vence. En revanche le temps se dilate puisque du temps présent je revisite la route de mes parents puis de mes aïeux. 

La foi a ainsi dicté à mes textes une insertion dans un lieu et dans une histoire. De même qu’elle leur a imposé une métamorphose : d’une poésie mosaïque je passe  à un poésie peuplée de personnages et donc plus narrative. 

Ces mutations ponctuent une entrée progressive dans le monde. 

On le voit, loin d’être décorative la poésie est consubstantielle de la vie. Comme l’affirme Yves Bonnefoy : le poème  n’est pas un texte, mais un objet qui ravit la lumière. 

Nous sommes en plein paradoxe : alors que la poésie est un désordre installé dans la langue, par ses rythmes, sa musique et ses images, tout s’agence et prend corps et cohérence. Quand je me retourne ainsi sur le chemin parcouru je me rends compte que je passe d’un espoir fragile, à peine conquis pas à pas, à une Espérance installée en ses terres. 

Pour être bien clair en ce domaine, je préfère laisser la parole à Jacqueline Assaël qui affirme dans son Petit traité du fol espoir : L’espoir, le fol espoir farouche et aventureux, peut précéder la promesse d’accomplissement ou lui être concomitant, et l’accueillir avec surprise ; il est incertain de son bien fondé et de la réalisation de son objet : l’espérance, en revanche, se règle sur la promesse. 

La confiance en la promesse est telle que j’ai pu alors oser être pleinement chrétien et me dire que, pour pleinement me réappropier ce qui m’a marqué dans les Évangiles, je pouvais franchir le pas de la réécriture. J’ai enfin osé m’inscrire dans un courant poétique chrétien et protestant, celui de la paraphrase, ce mot étant pris dans son acception originelle et pratiqué notamment aux XVI et XVII ème siècles. 

Ainsi prend naissance un dernier recueil, un 6ème publié comme un cadeau à distribuer. 

LE LIVRE DE LA COMMUNION POÉTIQUE :

 COMME UNE ENVIE DE CAROUBES. 

– Récit du Festival de poésie de la foi de Montpellier, pour ceux qui n’ont pas pu y participer…, par Jacqueline Assaël

Le premier jour, nous avions prévu de pique-niquer dans les jardins de la cathédrale de Maguelone, puis de visiter l’édifice et d’y lire des poèmes que nous aurions choisis. La météorologie ne nous a pas trop souri car il a fait un temps de chien, avec de grosses bourrasques et énormément de nuages, dans un lieu soumis à tous les vents. Mais les poètes ne sont pas des créatures aussi fragiles qu’on peut le croire et, dans la mesure où la pluie a bien voulu épargner le site pendant les quelques heures où nous nous y sommes installés, la fureur de la nature a accentué le caractère grandiose de l’endroit et nous y avons bravement déroulé notre programme sous la garde des paons aux plumes d’immortalité qui nous ont accueillis, arborant des teintes reflétées par les tableaux de Richarme exposés dans le parc.

Comme des spécialistes de l’histoire de Maguelone nous ont rejoints, nous avons évoqué à plusieurs voix l’histoire des lieux, depuis l’époque où l’île était un volcan, il y a 5 millions d’années en arrière, jusqu’à aujourd’hui, où elle accueille peintres, poètes et musiciens au milieu de terres de viticulture, de pêcheries et de compagnonnage, dans l’atmosphère de spiritualité qui émane de l’épaisseur imposante des murs de la cathédrale et de la transparence de l’or et de la mer de ses vitraux.

Puis tout un groupe de poètes et de participants sont venus se placer dans le transept où la lumière était la plus vive, de sorte à pouvoir lire des poèmes de leur choix, ou ceux qu’ils avaient piochés dans la besace prévue par Yves Ughes à cet effet. Des poèmes d’Aragon, de Jean Alexandre, de Charles Juliet, etc. ont résonné sous la voûte, dits par Marie-Hélène, Laurence, Olivier, et bien d’autres, heureux de projeter leur voix dans ce cadre grandiose.

Et le soir, le Festival étant revenu à Jacou, Yves Ughes a déroulé les six recueils qui composent son œuvre, en montrant comment ils révèlent, à l’analyse, l’évolution de sa vie de foi, faite dans une première partie de sa vie d’une espèce de provocation adressée à Dieu, comme celle de Judas, face aux douleurs du monde, aux douleurs de l’enfermement carcéral des prisonniers auxquels il a enseigné au cours de sa carrière, face aussi aux déchirements personnels, avant que la poésie ne s’emplisse des visions de beauté de l’élévation de l’Estérel, et que l’esprit s’apaise assez pour rechercher Dieu dans les ressources offertes d’ici-bas.

Le lendemain au matin, nous nous sommes retrouvés, presqu’une dizaine, pour participer à l’atelier d’écriture animé par Yves Ughes, formateur hors pair, avec son expérience d’enseignant et de poète.

Vous pouvez découvrir en détail, dans un des articles du site, ci-dessous, la production qui en a résulté : récits humoristes, poèmes de facture classique ou libre, méditation altruiste, tous partent des références bibliques listées par Yves dans son document préparatoire qui nous a lancés vers les idées de résurrection, de désert où tracer les chemins de l’Esprit, etc. Ces ateliers sont toujours dynamisants, car Yves montre à chacun les dons de poète que son texte révèle, parfois à l’insu de l’auteur et il engage ainsi chacun dans une expression qui peut être libératrice, qui est en tout cas créatrice et enrichissante pour la collectivité.

L’après-midi a eu lieu l’ouverture officielle du Festival, avec l’allocution de Madame Corinne Saléry, présidente du secteur de Jacou, au sein de l’association cultuelle de l’Église protestante unie de Montpellier et des alentours. Loin de toute banalité, elle nous a offert ses propres mots de poète pour lancer l’événement : 

Elle nous a ensuite présenté le Centre œcuménique qui a offert un vaste espace où déployer ensuite toutes les tonalités poétiques représentées par les inspirations diverses des auteurs invités.

Photographie de Michel Brunet. De gauche à droite: Corinne Saléry, Jacqueline Assaël, Jean Alexandre, Michel Block et Éric Chassefière

Avant de leur donner la parole, nous avons lu ensemble des textes de toutes les époques et de tous les horizons, centrés sur le thème du Jardin, d’Homère à Léopold Sédar Senghor, en passant par Rousseau, Prévert ou Queneau. Car il s’agissait de voir comment ce sujet important dans la Bible, à son origine avec l’Éden, à son issue avec Gethsémanè, a été repris dans d’autres traditions, avec des significations variées.

Les interventions personnelles se sont ensuite succédées : Joëlle Randegger a mis de façon originale en évidence, à travers des lectures d’extraits de ses romans bibliques l’aspect salutaire des plantes des jardins. La mise en scène, avec ses effets de lumière et les sonorités d’un bâton de pluie artistement manipulé par Marion Mouret était sobre et belle.

Puis Éric Chassefière est venu nous parler de ses expériences frémissantes de contemplation et d’extase, face à son jardin. Ses lectures de son recueil Le jardin est visage ont envoûté l’auditoire dans cette évocation de la circularité immobile du temps (voir ci-dessous l’article qui lui est consacré sur le site). Issue d’une spiritualité sans autre recherche que l’intensité de la conscience de la vie, son œuvre inspire des commentateurs qui se réfèrent à l’idée de Dieu avec une pertinence ou une impertinence défiant la réponse des théologiens, suscitant un dialogue au-delà des paroisses : « L’être est jardin. Le jardin est l’être. L’oiseau nait de l’arbre et l’arbre de l’oiseau. Dieu est substance au sens où nul ne peut dire que Dieu est une création de l’univers ni que Dieu a créé l’univers. Dieu ne provient de rien. »

Michel Block lui a succédé, évoquant ses influences poétiques, son livre Périchorèse, paru aux éditions Jas sauvages, son nouveau recueil Échos du silence (éd. La Cause), et le bonheur que lui apporte la collaboration de peintres et de musiciens dans cette réalisation, et dans la présentation qu’il a l’occasion de faire de ces textes de spiritualité.

La soirée a ensuite été consacrée à la présentation de mon recueil Faune au seuil des houles, paru aux Éditions Encres Vives qu’Éric Chassefière était venu nous faire connaître peu avant. Ce livre évoque l’épopée des méditations de ce personnage un peu sauvage, retiré dans un cadre semblable à celui des étangs du Roussillon, happé dans la contemplation du ciel nocturne et des profondeurs de la préhistoire, représentée, à proximité de son refuge érémitique, par le personnage de l’homme de Tautavel. Alors des questions naissent : à quel moment devient-on un homme devant Dieu, avec un cerveau qui l’identifie comme tel ? Quels sont les rapports de la matière céleste et de son infini, avec l’immatérialité de Dieu ? Colette m’a apporté une très grande joie en me disant que désormais, elle était avide de se procurer les sensations d’une nuit à la belle étoile…

Le samedi, notre série de conférences a repris dans l’après-midi, avec des lectures prenantes de Gérard Scripiec réécrivant les psaumes de manière très personnelle (voir ci-dessous l’article qui lui est consacré). 

J’ai partagé la séquence suivante avec Jean Alexandre : il nous a lu un de ses anciens recueils, bouleversant : Le chant du père inconsolé et je me suis interrogée : quel est ce père? Dieu? L’auteur ? Car Jean Alexandre a écrit ce long texte, scandé de strophes, après le deuil d’un de ses fils. Toujours est-il qu’il est question de fils toujours en fuite, et d’une ultime promesse paternelle annonçant des retrouvailles.

Julia Rochette, poète marseillaise, accompagnée d’une amie comédienne, Pauline Cheviller, qui a lu ses textes, nous a présenté Cendres solaires, un recueil qui dit la renaissance des cendres, l’amour pour la chaleur du soleil, l’attachement à Dieu réparateur de la souffrance. La jeunesse de l’auteur, sa maturité dans la foi et dans la réflexion spirituelle, ont profondément ému le public bienveillant, fraternel et conquis.

Puis Philippe François lui a succédé, dans un autre registre, en rappelant la tradition historique de la poésie protestante. Il a rapidement dessiné un panorama de cette poésie au fil des siècles, de Marot à Jean Alexandre. Son intervention a bien montré comment ce Festival de poésie de la foi s’inscrit dans une caractéristique culturelle du protestantisme issu de la Réforme.

Jean Alexandre a été à l’initiative de l’organisation de cette manifestation dans la région de Montpellier, aidé en cela efficacement par Joëlle Randegger. Une soirée lui a été consacrée, car lui aussi peut se prévaloir d’avoir publié une œuvre abondante et diverse. Cette phase du Festival lui a donné la possibilité de récapituler, en quelque sorte, les recueils importants qui ont signalé les étapes importantes de sa vie, de son enfance à Charonne jusqu’à aujourd’hui. Philippe François a déploré, au cours de son intervention, que Jean Alexandre n’ait pas une notoriété suffisante, par rapport à l’importance que lui-même accorde à son œuvre. Là encore, la formule du Festival apparaît comme nécessaire pour contribuer au rayonnement des auteurs protestants au-delà du cadre de l’Église, afin de faire connaître largement les divers types d’expression qui composent l’expression de la foi actuellement, et d’inscrire la littérature protestante dans le concert des arts, au niveau national. En l’occurrence, le Festival de poésie de la foi de Montpellier s’est inscrit dans le programme du «Printemps des poètes », en France.

Le dimanche matin à Jacou la vie cultuelle a repris ses droits avec l’expression collective de la foi autour du pasteur Jean-Paul Nuñez. Lors des annonces, j’ai été invitée à exposer devant l’assemblée ce que nous avions ressenti tout au long des journées précédentes et j’ai signalé qu’une dernière phase du Festival aurait lieu l’après-midi. Un public plus étoffé a participé à la dernière étape de cette rencontre.

Il a alors découvert les haïku bibliques d’Étienne Pfender, tantôt humoristiques, lorsqu’il évoque la Genèse avec le regard presque naïf et épaté d’un enfant, tantôt élégiaques, lorsqu’il est question de l’effort extrême que fait son personnage de Job pour ne jamais se rebeller contre Dieu, quoi qu’il lui arrive. Dans le public, des commentaires et des analyses littéraires très pertinentes ont fusé, devant la vidéo-projection de haïku sur le mur du centre œcuménique, et des réflexions sur cette invention littéraire de cette étrange méthode d’évangélisation, selon laquelle l’acculturation d’un genre poétique venu du Japon permet de glisser dans ces courts poèmes la substance des textes bibliques.

L’intérêt est demeuré tout aussi soutenu lorsque j’ai ensuite fait découvrir à des auditeurs émus et concentrés le recueil de Julien Petit, Une vie à l’aube, manière de transcender la douleur poignante de l’agonie d’une mère par la puissance de la foi, par le plein et entier sentiment de la présence de Dieu auquel on peut confier ceux que l’on aime, « ultimement ».

Le stand de librairie des éditions Jas sauvages a ensuite encore bruissé de demandes et d’inscriptions à la lettre de nouvelles, avec des participants heureux d’avoir découvert les ouvertures originales de spiritualité poétique qui leur ont été proposées tout au long du Festival par des artistes passionnés, au service de la foi.

– L’atelier d’écriture animé par Yves Ughes, dans le cadre du Festival de poésie de la foi de Montpellier

Les participants

Yves aussi a fait l’exercice!

« Hyelzas », pour Colette et Michel Brunet

– « Le jardin est visage »: une interview d’Éric Chassefière, dans le cadre du Festival de poésie de la foi de Montpellier

Éric Chassefière (Photographie de Michel Brunet)

Oui, je pense qu’on peut dire cela. Je n’analyse pas quand j’écris, je m’assieds et je me laisse pénétrer par le paysage en sorte que c’est le paysage qui finit par parler à travers moi. L’écriture est alors acte d’écoute plus que de parole. Et là, c’est peut-être en effet le jardin qui me parle, non seulement par sa voix, mais à travers tous les traits du visage qui s’en dessine dans le miroir de l’humain. Le jardin en quelque sorte se fait miroir, reflétant en l’enrichissant des mille couleurs de la mémoire le visage d’aujourd’hui, qui se fait visage de toute une vie. Une vie de jardin à jardin, car je suis né littéralement dans un jardin, celui du mas provençal de ma prime enfance enchanté de mistral, et m’installant à Frontignan, après une vie passée à Paris, un nouveau jardin, mais toujours habité du même mistral, qui lui prélude à l’accomplissement final. Le jardin qui clôt, et ouvre en même temps. Une redécouverte en quelque sorte.

C’est vrai qu’avec l’âge venant, et la santé étant heureusement toujours là, et par ailleurs ayant changé de monde, puisque la retraite arrivant je suis passé du monde de la recherche en sciences dures à celui de l’écriture poétique, je me trouve dans une nouvelle configuration, libéré des contraintes du quotidien professionnel, à me chercher un nouveau visage, celui de qui contemple la beauté. C’est ce visage-là dont je me sens responsable, ce visage reflétant la beauté qu’il contemple, celle de ce jardin notamment, mais pas uniquement, celle aussi des personnes qui m’entourent. Je suis clairement dans une quête de beauté et d’amour, c’est cette quête je crois, quête de soi-même et de l’autre à travers soi-même, qui constitue le fil conducteur de Le jardin est visage. Il y a bien me semble-t-il cette idée d’évolution que vous mentionnez. Une nouvelle jeunesse à rejoindre, dirais-je, en sorte d’accomplir une vie, en devenir la courbe, naître et mourir d’un même geste. Un but quelque peu idéal bien sûr, mais qui au moins constitue un guide dans cette dernière partie de ma vie.

Oui absolument, c’est ce que je viens de décrire. C’est une nouvelle amitié avec le monde que je voudrais savoir installer et cultiver. Une connaissance de soi ? Je ne sais pas trop. Ce n’est pas tellement à me connaître mieux que je voudrais employer mes forces, car peut-on jamais se connaître dans sa complexité, et d’ailleurs à quoi cela servirait-il, plutôt à infléchir mon rapport au monde dans le sens de plus de bonheur, plus de joie d’être au monde. Je crois en la beauté, et au pouvoir des mots pour en rehausser l’intensité, tout comme en voyage écrire des poèmes confère aux lieux visités une beauté qu’ils n’avaient pas naturellement. Cultiver les mots comme on cultive un jardin, pour que les fleurs en soient plus belles.

J’ai la religion de la beauté, c’est ce que j’essaie de toucher par l’écriture poétique. C’est dans ce sens peut-être que je suis « croyant », quelqu’un en effet qui contemple son visage originel dans un miroir – le jardin – et cherche à s’y fondre, faire Un en quelque sorte avec la Vie. Car la poésie, c’est la vie n’est-ce pas ? Et c’est bien la raison pour laquelle j’ai accepté votre invitation à ce festival, moi qui profondément ne crois pas en Dieu. 

Le nombre de 50 est fortuit, lié à la contrainte des 32 pages au format A5 pour Encres Vives. Aucune intention donc.

Non, ce jardin est le nouveau jardin, pas celui de naissance, mais il est vrai que je tente ici, comme je l’ai dit, la fusion de ces deux jardins.

Il y a bien dans ces poèmes l’idée d’une permanence, d’une nature s’auto-engendrant, dont je tente de traduire par la luxuriance des mots et leur répétition l’incessante métamorphose en elle-même. Je ne sais si cela répondra précisément à la question, mais cela me donne envie de vous lire un extrait de la chronique, intitulée : « Le jardin est visage, ou la rumeur du monde », consacrée à mon recueil sur le site de L’altérité par Hervé Rostagnat, où il est question de Dieu et du grand Tout :

« Dans « Le jardin est visage », tout est questionnement. La beauté du jardin est métaphore du cosmos, profond comme la fleur à moins que la fleur n’en soit la représentation microcosmique. Le jardin est corps. Il est yeux, mains, lèvres, peau, cœur, sang. Il est la beauté. Il est l’indicible. Et comment traduire l’indicible autrement qu’en cherchant Dieu ? Mais le Dieu d’Éric Chassefière est substance. Appartenir au monde en cette fusion c’est être le monde. Le jardin est nature. L’homme est nature. Nul artefact. Nulle production. Le jardin et l’homme sont substance au sens où ils ne sont le produit de rien, ils ne sont le produit d’aucune intervention extérieure puisqu’une substance est précisément ce qui est en soi et est conçu par soi. L’être est jardin. Le jardin est l’être. L’oiseau nait del’arbre et l’arbre de l’oiseau. Dieu est substance au sens où nul ne peut dire que Dieu est une création de l’univers ni que Dieu a créé l’univers. Dieu ne provient de rien.

Ainsi peut-on dire qu’il n’y a rien de transcendantal dans la poésie d’Éric Chassefière. Tout est immanence : « immanence de la source… immanence de ce chant… tout se cache en tout… tout vient s’y lire en tout ». Les 55 occurrences du mot « tout » suffisent à montrer, combien dans cet englobement, la nature s’engendre d’elle-même. Elle est incréée. L’Être n’est-il pas alors que dans cette contemplation ? Dans ce questionnement permanent, le poète considère : étymologiquement, il a le nez dans les étoiles. Il y a quelque chose de sidéral dans cette attention qui constitue une forme d’ontologie de l’homme, une sorte d’ontologie extrême au sens où il n’y a d’homme que s’il y a cette extrême attention. »

Je vous rejoins sur cette idée d’une spiritualité matérialiste. Je cherche par les mots à caresser, ma démarche est sensuelle, proche du corps et plus généralement de la substance. Le jardin est corps, le poème est corps. Corps que je fais corps de mots sur la page. Il s’agit bien de toucher par les mots, donner vie du geste de toucher, finalité ultime de celui d’écrire. En cela le geste d’écrire est pour moi fondateur. J’ai écrit, dans un entretien avec Clara Régy, qui date de quelques années :

« La poésie est avant tout pour moi un acte de vie. J’ai besoin d’écrire pour me sentir vivant, tisser un lien charnel avec le monde. Un désir d’appartenance, qu’on pourrait qualifier d’amoureux. J’ai longtemps écrit exclusivement dans la nature, l’été, sur le lieu d’enfance, submergé par le sentiment d’une beauté dépassant mon entendement, que par les mots je tentais d’atteindre et me réapproprier. Il y avait déjà ce plaisir sensuel à faire naitre les mots du corps, de sa vibration profonde, faire corps du poème, entendre et ressentir à travers lui. C’est ainsi qu’est né mon désir d’écrire, retrouver sous la caresse des mots l’enfance perdue, mon jardin d’Eden. »

Il y a donc bien une aspiration à retrouver un paradis perdu, vous avez vu juste, et peut-être ce recueil vient-il précisément concrétiser, voire accomplir, cette aspiration à retrouver une origine, à en faire le berceau d’une vie nouvelle, réunifiée, qui nous place en situation d’accueillir la mort, entrer dans ce jardin, « dont l’ange a refermé les portes sans retour », pour reprendre le final du poème de Bonnefoy placé en exergue.

– Échos d’un Festival heureux de poésie de la foi. 7. Paraphrases du psaume 23, par Yves Ughes

De nos jours le mot « paraphrase » a une mauvaise réputation.  Une réputation presque aussi mauvaise de celle du mot « poésie ». Quand un professeur corrige un commentaire composé et qu’il raye d’un trait rouge et rageur un morceau de paraphrase, c’est très mauvais signe. Cela signifie que l’élève a redit avec nombre de maladresses ce que l’auteur du texte proposé avait si bien exprimé. Paraphrase, il s’agit d’un mot-procès, d’un mot-couperet ne supportant pas de discussion. Mais la vie du langage est telle qu’un mot peut être polysémique et que sa fortune varie au gré des siècles. Si nous remontons dans le temps, nous pouvons nous rendre compte que la paraphrase a été – dans un lointain passé certes, mais tout de même- chargée de connotations positives et d’une dimension spirituelle affirmée. 

Il en va ainsi des deux pièces « sacrées » de Racine : ces oeuvres peuvent être considérées comme des paraphrases de textes bibliques. Blaise Pascal avec son «Abrégé de la vie de Jésus-Christ », s’est essayé à une synthèse risquée des Évangiles, et ce fut pour lui un exercice d’ascèse et d’écriture, d’ascèse en écriture. Clément Marot -par ailleurs auteur de textes grivois- s’est plu à cultiver la paraphrase -et  avec bonheur- au point de publier un psautier complet. Drelincourt et nombre d’autres chrétiens et protestants ont mis leur foi à l’épreuve en paraphrasant les psaumes. Et l’exercice vient de loin, des profondeurs d’une tradition judaïque qui relevait du commentaire. Loin d’être une pratique condamnable, la paraphrase se présentait alors comme un exercice d’appropriation de la Parole. 

De nos jours encore, cette discipline littéraire, marquée par la foi, perdure et dans le meilleur sens du terme. En témoigne le corpus sur lequel nous nous proposons de travailler. Nous partirons du psaume 22, ou 23 selon la numérotation hébraïque. Et notre problématique sera simple : démontrer que la paraphrase est à la fois un exercice de liberté, de création, une démarche spirituelle. Quelle soit plus ou moins réussie et accomplie est une autre histoire. Si nous voulons lire les paraphrases avec pertinence, il nous faut relire le psaume originel. 

Nous allons approcher cinq auteurs qui ont paraphrasé ce psaume. Les voici donc, très rapidement présentés.

  • Paul Claudel. Pour lui la lecture de la Bible  est la possibilité donnée « d’accueillir et entendre, ensuite commenter et interroger. »[2] En ce qui concerne les psaumes, il prolonge cette pratique de lecture par la nécessité de répondre. 
  • le cantique de Jef Mathouret, organiste et musicologue. Nous verrons que cette dimension musicale est importante. 
  • Les chansons de Jean Debruynne. Auteur de plusieurs cantiques et chansons religieuses. 
  • Les chants psalmistes de Claude Bernard, auteur notamment d’un ouvrage intitulé Chanter notre aventure. 
  • Enfin un poème de Paul Baudiquey, prêtre du diocèse de Besançon, excellent connaisseur de l’oeuvre de Rembrandt. 

Ces textes couvrent un éventail temporel qui s’étend de 1947 à 1988. Avant d’aller plus loin, écoutons les premiers versets de chacun. Cette lecture nous permettra de percevoir la diversité des approches.  Leurs tonalités variées nous mettront en éveil sur la richesse de la démarche. 

Avec ces premiers versets, tout est dit de la diversité créative que suscite le psaume 23. Ne fût-ce que dans l’énonciation : « Je », « Tu », « Moi », « Toi », « Tu ». Il ne s’agit pas simplement de pronoms personnels ni d’une remarque purement grammaticale. Le style est ici révélateur d’une façon de se situer, mieux encore une façon d’ÊTRE avec l’Éternel. 

POINTS COMMUNS ET CONSTANTES 

Demandons-nous tout d’abord quels sont les points convergents dans toutes les réécritures ? Quelle est la constante ? Quels sont les points invariants ? La réponse est claire : deux aspects majeurs se tiennent en opposition dans la profondeur des textes, ils se concentrent en deux images : la « vallée d’ombre » et les « verts pâturages ». On pourrait classer cette évocation de la mort par degré d’intensité : avec Paul Baudiquey elle s’exprime par une étrange  périphrase:

Paradoxalement, la mort est évoqué en plein midi. Mais l’on sait bien, et Camus l’a confirmé, que le soleil peut être tragique. La mort  est plus ou moins concentrée  dans les autres textes : avec Marthouret, la forme est atténuée : 

De même chez Claude Bernard :

Mais elle peut prendre une forme cauchemardesque, avec Debruynne l’image devient ainsi concrète et physique : 

Chez Paul Claudel, l’expression en est même redondante : 

Et cette insistance souligne la densité de l’angoisse. Ainsi les psaumes réécrivent-ils l’angoisse première de notre finitude. Le point constant et névralgique des psaumes se situe dans l’inquiétude voire dans les tourments suscités par la peur d’une fin annoncée. En un certain sens les psaumes nous placent dans la nudité de notre condition humaine. Mais les vallées, fussent-elles dominées par l’ombre, sont les lieux de traversées. Tous les psaumes ici présentées sont des textes de dépassement de la peur. Une mise en marche un désir de foi en la vie, un appel lancé vers l’éternel. 
Chaque évocation de la vallée obscure est presqu’aussitôt prolongée par un basculement, un mouvement de vie qui s’exprime par des connecteurs d’opposition : mais, des verbes : Je ne craindrai plus rien, des phrases entières : ça ne fait rien, je ne craindrai plus rien. Chaque texte est donc un Itinéraire qui va des tourments personnels et qui tend à percevoir la présence de l’Éternel, s’en approcher pour finalement déborder dans la louange. 

Pour être pleinement dans le cadre de notre festival, on peut affirmer qu’il s’agit de poèmes qui, comme tous les poèmes, sont consubstantiels d’une démarche spirituelle. 

Loin d’être des textes figés par le temps, les psaumes se présentent donc comme des oeuvres de tension. Cette relation à l’Éternel, par quelle dynamique littéraire passe-t-telle ? Pour y répondre, nous procéderons maintenant à la lecture de chaque texte. Cette lecture ira à l’essentiel, en espérant qu’elle soit suffisante pour faire apparaître la richesse de chaque démarche. 

  • Quelle dynamique linguistique ? Quelle démarche spirituelle ? 
  • Claudel : De l’aveu contrit à l’infinie miséricorde. C’est un texte de fin de vie et d’emblée l’auteur se situe dans la contrition ; tout est pratiquement dit avec : « Je suis une pauvre bête » Parallèlement, il est le seul auteur évoquant des images de punition : « Ces verges pour me fouetter et ce bâton pour me battre, je les baise avec amour ». Image dégradée de soi. Houlette, verges et bâtons. Expiation. Toute la dynamique verbale s’organise autour de cette démarche douloureuse. Le verbe est retenu, les images sont  raresLa marque principale de cette réécriture se situe dans un mouvement de contraction et dilatation. De punition et de gratitude.. Nous sommes là au coeur d’une vérité qui traversera la suite de notre approche : «  on prie comme on croit ». On réécrit le psaume comme on croit. 
  • De fait, la tonalité est tout à fait différente avec la chanson religieuse de Jean. Debryunne : dès l’amorce du texte une familiarité heureuse et détendue s’installe : «Moi, mon Dieu » ou encore, dans une autre chanson : « Dieu est toujours en avance /pour parler des vacances. » Nous nous trouvons là dans une légèreté assumée et revendiquée : , celle du « Folk-Psaume. » C’est à la fois la force et la faiblesse de cette  réécriture. Elle présente certes de belles intuitions : « Sa liberté me libère ». Elle rend la présence de l’Éternel par des éléments festifs de la vie courante  comme ces «vins  gris pétillants » « l’avenir est son jardin » « tu me prépares un  banquet ». Mais il nous faut bien souligner que, si ce texte gagne en séduction, il perd en démarche spirituelle. Ce n’est pas un  jugement de valeur, mais un simple constat littéraire. 
  • « Tu es mon berger, Ô Seigneur. »  Telle est l’ouverture du texte de Robert Jef Mathouret. Ouverture simple exprimant une relation clairement établie presque dans la force de l’évidence. Dès lors le texte a pour dynamique principale  de glorifier cette paix et ce bonheur donné par la Présence. Les adjectifs qualificatifs abondent : «verts pâturages, eaux limpides, merveilleux festin, ta coupe débordante, ton huile vivifiante. » Nous sommes là face à un texte bienheureux, liant la présence de l’Éternel à un véritable bien être, une joie d’être. Et la musicalité du texte vient conforter et amplifier cette bienheureuse perception du monde. Nombre de vers sont des alexandrins dont on sait la force d’harmonie dans la pratique de notre langue. Ce texte présente une fusion accomplie entre le chant populaire, le psaume et la démarche spirituelle. « On prie comme on croit », vous dit-on. 
  • Avec C. Bernard, la relation semble s’installer comme précédemment, par l’affirmation d’une évidence. « Pasteur d’un peuple en marche/conduis-nous par tes chemins . »

Un guide, une voie tracée, un mouvement donné. Tout est clair. La suite du texte est pourtant marquée par une interrogation qui exprime quelque trouble : « Mais comment reconnaître le Seigneur ? ». Nous retrouvons là au d’une démarche typique du psaume : une attente, un désir, le souhait d’une présence pourtant admise dès les premiers versets. 

L’originalité de cet auteur est de faire émerger dans sa réécriture la présence de Jésus, comme réponse à son interrogation. Dans cette émergence se noue à la fois une grande liberté prise avec le psaume et une grande fidélité inscrite dans une démarche chrétienne. Rappelons-nous les mots de Jésus : « je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi ». [4] Nulle trahison installée dans le texte de réécriture, mais une simple fusion entre les prophéties et les Évangiles. L’audace et la liberté peuvent donc être partie prenante de cet exercice particulier qu’est la réécriture.

  • Avec Paul Baudiquey : La relation est également limpide et directement assumé, par le rapprochement de deux pronoms personnels Je/Tu : « Et je dirai de Toi que Tu es Bon Pasteur » et l’abondance des majuscules donne déjà au texte une dimension d’Arts Plastiques. Ce premier verset relève presque d’un dessin. Avec cet auteur une relation spirituelle de proximité s’inscrit dans le texte, notamment par la création d’images. L’imagination, cette vertu cardinale, affirmait  Baudelaire entre ici dans sa plus belle dimension créatrice. « Tu fais des archipels aux portes du désert ».  « Quand le brouillard d’automne emplit les chemins creux ». La relation au monde est plus qu’heureuse, elle s’avère fertile de part en part. Dans ce monde fécond, fécondé  nous pouvons « Être le commensal de la table opulente ». Voici que tout devient fête, dans le surgissement inattendu de « la vieille Sara » : Tu m’apprendras le rire de sa vieille Sara/qu’on ne peut T’aimer sans rire à cause de TOI ». 

Parvenus au terme de notre modeste panorama, nous pouvons dégager quelques enseignements de ce qu’est la paraphrase et de ce qu’il lui faut mettre en oeuvre pour accéder au titre honorifique de « réécriture », sachant qu’en ce qui me concerne ces deux mots sont équivalents. Il nous faut d’une part souligner l’exceptionnelle variété des paraphrases. Chaque texte est révélateur d’une démarche personnelle, d’un contexte, d’une situation d’énonciation. Par-delà ces données individuelles ou collectives, ces textes sont révélateurs d’une valeur profondément ancrée dans la culture chrétienne, plus encore dans la culture protestante : la liberté d’interprétation (sous réserve de cohérence, bien évidemment) et la liberté de création. Loin de se contenter de reproduire, la paraphrase crée de nouveaux espaces de sens. 

Il nous faut d’autre part souligner que la paraphrase loin d’être une pâle imitation -ou un fade remix pour faire plus moderne- se présente comme un exercice spirituel. Cet exercice prend naissance au coeur de notre condition et du désarroi que toute prise de conscience de notre finitude peut engendrer. Par une pratique de la langue qui relève de la création poétique, elle met en oeuvre une démarche, une quête vers Quelqu’un de plus grand que nous. Parallèlement ou consubstantiellement elle enclenche par les mots un processus d’appropriation qui rend visible ce qui est invisible.

Si l’on se réfère à la phrase de Paul Klee : L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible, 

on peut affirmer que la paraphrase est un art à part entière.  

Pour le festival « Palmes et Psaumes » 

11 – 14 avril 2024. 
Yves Ughes. 

Avec mes profonds remerciements pour Jean-Luc Lorber, pour le corpus établi et sa précieuse approche. 

Jean-Luc Lorber : Les paraphrases du psaume 22, au XXème siècle. Revue des sciences religieuses. 81/3.   2007. https://journals.openeditions.org


[1] Livre des Psaumes. Psaume 23. 

[2] Jean-Luc Lorber : Les paraphrases du psaume 22, au XXème siècle. Revue des sciences religieuses. 81/3.   2007. https://journals.openeditions.org. P. 3 

[3] Gérard Bocholier, Le poème exercice spirituel – Ad Solem Éditions SA. Paris, 2014. 4ème de couverture. 

[4] Jean, 14-6

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