par Marie-Christine Gay
« Ici tout vit cristallisé, si près de Dieu. La terre est un cantique immense au ciel trop bleu. »
Paul Verlet, Extrait du recueil de poésie intitulé « Nostre Dame de Vie », Sept états d’âme
En ce début d’été, le samedi 1er Juillet 2023, lors d’une journée ponctuée de petits miracles, l’association de poésie et musique « Les mots d’azur » a organisé, par l’intermédiaire de sa branche atelier d’écriture « À mots ouverts », une matinée en écriture sur le parvis de la chapelle Notre-Dame de Vie à Mougins, dans les Alpes-Maritimes.
Ce lieu n’a pas été choisi au hasard, car une fois sur place on ressent ce sentiment :
« Je connaissais cet endroit hors du temps qui m’avait saisi par sa sérénité accomplie. »
(Alain Sabatier, Préface du livre de Davis Giordanengo et Yves Ughes : Notre-Dame de Vie.)
Un groupe de neuf participants est alors enthousiaste de contribuer à cette aventure novatrice en compagnie des images de David Giordanengo et des très beaux textes de Yves Ughes.
Ce livre a été publié en janvier 2005 aux éditions Tac-Motifs des Régions et résulte de la collaboration entre un photographe subjugué par Notre-Dame de Vie à Mougins et un poète, Yves Ughes.
Présentation du groupe d’écriture
Le groupe, très motivé, participe depuis un an et demi aux ateliers d’écriture « À mots ouverts » qui ont lieu à Mougins. Durant toute l’année, il s’essaye dans différents styles d’écriture, sous l’impulsion donnée par mes consignes, chaque fois différentes. Pour la 16ème rencontre, c’était la première fois que l’écriture se déroulait dans la nature, dans un lieu de mémoire mouginois. L’atelier en extérieur dans un paysage idyllique a permis de sortir de l’espace clos de l’atelier, et d’aller sur le lieu d’origine des écrits de Yves Ughes.
Dans une ambiance chaleureuse imaginez l’installation d’une table, de chaises de jardin, au milieu d’une nature exubérante. Fermez les yeux et écoutez le chant des cigales et sentez sur votre peau une brise légère.
C’est moi qui ai imaginé et réalisé ce projet, mais la réalité de ces moments m’a tellement imprégnée que je me suis sentie en osmose dans cette aventure. Cette journée sonnait comme une fête de fin d’année dans l’arborescence et la sérénité de ce lieu. Nous avons eu l’occasion d’approcher ce silence intérieur. Comme le dit François Cheng:
« Et si écrire, c’était tout simplement ne plus taire cette âme en soi ? »
Ce groupe se réunit autour de la littérature, mais n’affiche aucune appartenance religieuse, et ce sujet n’est jamais évoqué explicitement. À notre grande surprise, les textes de Yves Ughes, le regard photographique de David Giordanengo et l’esprit du lieu ont fait apparaitre, dans l’ensemble des textes, une spiritualité sensible et touchante.
Les conversations autour du repas ont été pleines de confidences. Une occasion de se livrer sous le regard bienveillant des autres. Comme le dit Gérard Bocholier dans son livre Le poème exercice spirituel :
« Qu’il soit croyant ou non, tout poète sent l’existence de la Présence, de ce qu’il hésite à nommer parfois ‘quelqu’un’ et qui n’est autre que tout l’invisible qui le dépasse. »
Bien conscients de notre chance d’écrire dans ce contexte et sous l’impulsion des textes et des images, les participants ont été surpris par la naissance pour certains d’une écriture différente, chargée de secrets.
« L’écriture a ceci de mystérieux qu’elle parle », dit Paul Claudel.
Entre 10 heures et 13 heures, juste avant un pique-nique partagé, ce fut le temps de la découverte, et celle de larguer les amarres avec Yves. Comme le dit Rilke : « Quitte ta chambre où tu sais tout ». Cet instant de vie nous a permis d’entrevoir une brèche dans le monde de l’indicible.
La méthode
Le point de départ, après une présentation de l’histoire chargée du lieu et de la biographie du poète, a consisté en une véritable imprégnation des textes de Yves Ughes qui dans ce contexte prenaient toute leur dimension et nous emportaient au large. Ensuite chacun devait choisir une photographie illustrée et devait retrouver le lieu dans l’enceinte de la chapelle.
Catherine concentrée !
Sous l’élan des différentes propositions, chacun devait rapporter au groupe les mots ressentis et inspirés par le lieu de leur photo. Ensuite en groupe, la lecture des mots rapportés permettait à chacun de se constituer un lexique commun et de garder un lexique personnel. C’est à partir de ce matériel enrichi de chaque personne que la vague de l’écriture est arrivée nous bousculant, nous faisant méditer sur le lieu et sur une explication personnelle du monde :
« En partageant la joie, vous la multipliez. Et écrire, c’est partager pour multiplier. » (Christian Bobin)
Les textes produits sont le fruit d’une écriture corporelle et posturale dans le lieu de leur inspiration :
« Le poème, comme la prière, ne peut faire abstraction de ce corps où Dieu a lui-même un jour choisi d’habiter » (Gérard Bocholier)
La production poétique
Je suis heureuse de vous faire partager des extraits du résultat de cette puissante ivresse qui m’a médusée et émue. Il s’agit de premiers jets d’écriture, n’ayant pas eu le temps de la nécessaire réécriture.
Nous en sommes tout de même fiers car ils sont des reflets du débordement de nos cœurs. Dans ce rendu nous mettrons en regard de chaque photo de David Giordanengo (en noir et blanc, extraites du livre), les textes de Yves : « germinateurs » de l’écriture, et bien modestement les productions écrites de nos participants :
De gauche à droite : Ariane Jehanno, Aude Gachet, Karol Padey, Gérard Moreau, Célia Norgiolini, Gwenaëlle Caillibot, Catherine Pallen, Marie-Christine Gay, Jocelyne Tarral, Patricia Rahier.
« Chacun a une identité d’écriture. Cueillir l’écoute. « Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. » (Baudelaire)
Première photographie
Yves Ughes
la tentation serait de n’y voir qu’un fait une plaie établie sur le confort de nos vies
de n’y voir qu’un signe d’agencement un geste accompli pour l’ordre
ce serait oublier la déchirure du ciel et le voile du temple lacéré en son milieu
et les nuages amoncelés
c’est de débordement qu’il s’agit
Catherine Pallen
Avec des mots d’ombre, j’ai gravé sur le mur
les barreaux de la souffrance
les contraintes du temps
le saccage de l’espoir
le gouffre des oublis
les cicatrices du renoncement
Avec des phrases de lumière, j’ai inscrit sur le mur
le chant des arbres, puis celui des cigales
les amours protectrices
le corps de mes plaisirs et l’âme de mes désirs
le sentier de mon avenir.
Deuxième photographie
Yves Ughes
même reproduit sur un vitrail
le feuillage
ne se conçoit
qu’en profusion
il ne saurait définir ce qui en lui
fait chair
Célia Norgiolini
Le charme bucolique
me laisse de marbre
les fissures dans ma voûte
autant de cicatrices
le sang coule
le chant de la cigale
à travers la serrure de mes songes
regard froid
cris et crises
brisent mon âme
le parallèle de ces deux mondes
puis-je me cacher ?
je demande grâce
une virgule pour que mon souffle reprenne.
Les lignes se mêlent
naïf l’enfant intérieur
s’échappe un instant
une aile de papillon
le chant des cigales
une brise légère
recherche du repos de l’âme
le vide m’appelle
se plonger dans la nature
besoin d’évasion
chair de poule
Troisième photographie
Yves Ughes
les arbres même devenus empâtements
de gauche à droite par la rupture décomposés
comme émergeant du bleu froid des désastres
comme dite par une bouche travaillée au crochet
la superbe des corps devinés
liés à la contracture des tôles
mais aussi
la certitude que tôt ou tard il faudrait bien
rendre grâce à Notre Dame de Vie
de cet instant fugace ouvert sur
l’éternité
Gérard Moreau
Ex-voto
C’est un sentier bucolique, un espace de charme avec des arbres perclus de lumière et la stridence des cigales. Tout à cette extase de la nature, oublieux du temps, s’omet la prudence. La vie est contingence, à chaque instant peut se produire un saccage ou un bonheur, une souffrance ou un espoir dans cette chaîne ininterrompue de la ligne du temps. Une rupture et c’est l’ouverture brutale vers le gouffre de l’éternité. Un simple froissement de tôles qui abrège l’existence fragile. Eh, puis non ! dans cet espacement fugace d’incertitude tout s’est joué si vite. La protection divine s’invite avec un saut dans la foi où le corps ne sera pas décharné mais restera vigoureux sans une seule cicatrice pour un mental fort désormais voué au recueillement.
Quatrième photographie
Yves Ughes
lueurs en creux
posées comme ponctuation
de phrases absentes
des mots furent nôtres qui se sont maintenant effacés
par le déchirement du regard
retrouver dans l’alignement des mèches
la vrille
des branches
la ligne des buissons ardents
Gwenaëlle Caillibot
L’étincelle d’une absence
J’ai beaucoup lutté pour ne plus y penser. Je m’étais préparée au renoncement, à ton absence, et ce matin, en quelques minutes tout a basculé. Ton image d’une incroyable douceur, est une inscription indélébile dans chaque battement de mon cœur. C’est une cicatrice en or dans ce tableau naïf de ma vie. Mon regard s’attache dans cette immense quiétude, à chercher sans cesse le soleil à travers les nuages. Chaque clignement de cil, laisse apparaitre une voûte, dont l’ouverture vers l’inconnue me transporte dans une autre atmosphère.
Cinquième photographie
Yves Ughes
que l’ombre pour l’instant se taise
qu’elle ne soit que pause
admise
suspension
Aude Gachet
Initiation
Un papillon, battant des ailes, recherche une ouverture
depuis qu’il a plongé, à travers la serrure
dans les profondeurs de cette Inconnue noire et froide
il espère retrouver la vie à l’extérieur
apercevoir une porte, une fissure
une virgule de Lumière lui montrant le chemin
Happé par ce mystère
désespéré de rester caché, voire oublié
il se met à prier.
à invoquer
le Créateur, depuis l’abîme de son Cœur
à rendre Grâce dans le Silence
pour cette expérience du Vide
ce voyage en Lieu Saint
La quiétude retrouvée
saisi d’une lueur de génie
il rebondit, jaillit du fonds du puits
brise le miroir des apparences
et reprend son vol, empreint de reconnaissance.
Ariane Jehanno
Dans cette atmosphère pleine de silence avec une sensation de dévotion autour de moi. Une inconnue est venue, s ´assoit près de moi sous le grand chêne et soudain une clarté particulière envahit le lieu. J’ai eu l’impression d’être comme dans un nuage près de ma mère si tôt disparue et de sentir sa main dans la mienne. Puis l’inconnue disparut sans un mot en emportant cette image et sa magnifique sensation d’éternité.
Sixième photographie
Yves Ughes
il faut maintenant aller vers la dilatation du monde
la contraction des arbres
par-delà se devine
la vie des artères
et les tarifs du bitume
seront autant de griffures faites
sur le corps de l’innocence
Karol Padey
J’ai beaucoup lutté pour ne plus y penser, des années durant et puis un jour sur le chemin mes pas se sont allégés, parfois même je ne touchais plus terre. La tête remplie de ta joie et le cœur riant à pleines dents, tout s’est baigné d’une enveloppante lumière comme un rempart à la noirceur. Je n’ai plus peur du silence je sais que c’est à cet endroit que tu me rejoins.
Septième photographie
Yves Ughes
là où les soutènements sont
des palmes
un regard levé
placé dans l’instabilité des anges
dans l’effondrements heureux
ce regard souligne
ce qui paraît être
par en dessous
une contracture
Patricia Rahier
Sous ces oliviers et cette atmosphère champêtre, j’ai ressenti, entendu comme un appel et j’ai découvert cette gravure qui m’est apparue tel un miroir.
Cette œuvre d’art m’a interpellée et envoûtée à la fois !
Elle était devenue prisonnière du temps et cachait en elle un secret rempli de désespoir!
Dans ce clair-obscur, les pèlerins venaient de toute part et se prosternaient devant elle en signe de reconnaissance et d’adoration.
Elle reflétait la rancœur et la blessure des hommes pour l’éternité et avec passion et quiétude, elle nous redonnait l’espoir pour l’éternité.
La Vierge Marie !
Huitième photographie
Yves Ughes
j’ai dans le crépuscule à l’instant
entrevu
le porteur de la mort
sur le chaos des innocents
son pas scandé par la nuit
dans le sommeil des arbres
sa fatigue
et sa dérobade
en disaient long
il nous faudra tenir la traversée
Jocelyne Tarral
Lieu bucolique, où chantent les cigales, entre ombre et lumière, dans son décor naturel et bien triste en regard de l’histoire. Une chapelle médiévale bordée d’arbres : oliviers millénaires et cyprès alignés comme une armée de militaires. Ils nous ramènent à la mort de ces pauvres innocents morts nés mais aussi aux prisonniers très amaigris.
À chacun son chemin de vie !
Neuvième photographie
Yves Ughes
passent ainsi dans le vin la saveur
calcaire du soleil l’ardeur du sol
râpé
dans le basculement des sens
s’ouvrent la fraîcheur des
tonnelles la promesse des
tonneaux
des corps nus se malaxent dans
la fusion des feuilles
posée sur les lèvres de la vigne ta
chair devient ronde
le désir s’offre aux galbes des
jours
c’est par là que l’homme se
multiplie
tel un sarment
d’espérance
Marie-Christine Gay
Brise légère sur mes épaules nues
mains en forme
de gratitude
dissimulées les cigales
au creux de l’arbre
le murmure d’une évidence
cyprès dressés
vers le firmament
des cascades coulent du ciel
fleurs sur la
paille du pré
l’aube d’une sérénité
pierres aux pieds de la chaise
lave
larmes
au pourtour de l’existence
fil d’une toile d’araignée
en transparence de l’âme
sourire esquissé
sur tes lèvres
voyage sur un voile d’espérance
Ariane et Jocelyne en écriture
Pour tous les participants, cette journée restera comme un grand souvenir d’inspiration et d’écriture partagée.
Je laisserai la conclusion à Gérard Bocholier :
« Toute écriture poétique n’est-elle pas exercice spirituel, dans la mesure où le travail de la langue est aussi travail sur soi-même […] Le poète sait qu’il doit s’effacer devant quelque chose – ou quelqu’un – de plus grand et de plus fort que lui ? »