par Jacqueline Assaël
Nancy et le Plateau lorrain : réinventer les cantiques
et maîtriser l’exégèse biblique
Après leur Festival Poïéma II, en mai, à Marseille, les éditions Jas sauvages ont été accueillies avec beaucoup de chaleur, humaine et météorologique, dans l’est de la France, à Nancy en juin, puis à Strasbourg en juillet, pour leurs Est’ivales 2023. Une bien belle saison d’expression poétique et de réflexion biblique.
À Nancy, deux événements ont eu lieu, les 18 et 19 juin, le premier lors de la journée de fête de la paroisse de Nancy et du Plateau lorrain, autour de l’idée de la réécriture de cantiques. À la suite de Luthérine, le personnage de la comédie théologique Allo Bybol, et très sérieusement, les participants à cette après-midi festive s’étaient mis en tête de réactualiser les textes de certains cantiques pour mieux se les approprier. Dans cette idée, je leur ai présenté le contenu d’un article d’Olivier Millet expliquant la différence structurelle et spirituelle des cantiques protestants et catholiques. Pour lui, un cantiques protestant s’exprime à la première personne, singulière ou collective, dans une adresse directe à Dieu. De plus, un cantique protestant reprend des images des thèmes, des épisodes bibliques et il se sert des éléments de cette culture pour accompagner le croyant, en assemblée, vers toujours plus de conscience de la foi, avec une construction très dynamique. Les chants ne jouent pas le rôle de musique d’ambiance ou de ritournelle, ils forment et soutiennent une pensée de la foi.
Bien conscients de ces principes, trois groupes distincts ont ensuite cherché à les mettre en pratique, en réécrivant notamment, une fois encore, comme Luthérine, les paroles de Aube nouvelle, ou en inventant de nouvelles strophes pour le chant hérité d’Ésaïe : Quand les montagnes s’éloigneraient…, ou en cherchant avec humilité à établir la gradation de plusieurs strophes avant d’aboutir aux paroles actuelles du chant Jésus, je te donne tout, que certaines personnes, pour se sentir très honnêtes, avaient du mal à prononcer d’emblée.
En fait, nous avons ainsi chanté des cantiques pendant tout l’après-midi, y compris pendant la projection des propos d’Olivier Millet et le résultat a été la production très réussie d’une petite moisson de chants pleins de souffle que tous ont interprétés avec enthousiasme.
Le soir du lundi 19 juin, une conférence a ensuite eu lieu à l’espace culturel Saint-Jean. Il m’avait été demandé de traiter du sujet suivant : « Comprends-tu ce que tu lis ? », en référence à la phrase adressée par Philippe à l’eunuque phrygien (Actes, 8, 30-31), embarrassé dans sa lecture de la Bible. Avec projection de documents à l’appui, j’ai cherché à montrer d’où pouvaient venir certaines difficultés d’interprétation d’un texte biblique et quels étaient les moyens à la disposition des chercheurs en matière littéraire pour en venir à bout. Il faut tout d’abord établir le texte qui paraît le plus conforme à l’esprit de la démonstration entreprise par les auteurs, à partir de manuscrits parfois abimés, parfois divergents dans le détail. Puis il faut discerner les interprétations qui rendent honnêtement compte de la pensée des auteurs et celles qui cherchent à imposer des commentaires exégétiques visiblement partisans, et à les surimprimer par rapport au message du texte. Il est important aussi, de bien discerner la valeur spirituelle de ce type de textes, et de distinguer vie et sommeil de l’esprit ou existence et mort biologiques. Sans cela les traductions aboutissent à des contre-sens.
L’auditoire a fini par s’interroger sur la valeur comparée des diverses traductions bibliques disponibles, mais je ne peux que conseiller de mener une réflexion personnelle en tenant compte de la logique du contexte, de consulter de bonnes éditions commentées et de faire des études bibliques régulières, en paroisse, pour s’habituer à identifier les difficultés à résoudre, être en alerte et assimiler pleinement le sens profond des textes destinés à guider la vie des croyants.
Rendez-vous est pris pour l’année prochaine, ce qui donnera sans doute lieu à un prolongement de cette réflexion en commun qui nous enrichit tous, par les propositions des uns et les réactions des autres, le chant et la méditation des textes.
L’Alsace : semer la poésie de la foi à tous les vents
Nos Est’ivales à Strasbourg ont été magistralement prises en main par Lucie Wateau qui a organisé la plupart des événements qui se sont déroulés. Tout un petit calendrier de rencontres a ainsi pu se construire : une après-midi poétique chez les diaconesses de Strasbourg, le 6 juillet ; un « impromptu poétique » proposé tout d’abord à un cercle privé, mais finalement offert à tout visiteur de l’abbatiale de Rosheim, l’après-midi du 8 juillet, et une soirée à Strasbourg, grâce à l’accueil du pasteur Rudi Popp qui a intégré notre manifestation parmi les festivités de l’été organisées au Temple Neuf. Trois publics différents, donc, qui nous ont fait don de toute leur attention pour les diverses présentations que nous avons faites des recueils publiés aux éditions Jas sauvages.
Il a été très émouvant d’entendre des diaconesses, à l’issue des lectures, s’étonner de découvrir ces textes originaux, exprimant la foi de manière si personnelle, et les accueillir si favorablement, comme une gourmandise spirituelle.
Dans l’abbatiale de Rosheim, Lucie Wateau avait réuni un certain nombre de ses amis, tous amateurs d’art, sensibles à la poésie, connaisseurs et « fans » de la générosité de ses performances poétiques, en mouvement, dans l’élan de son visage qui s’illumine. Pour la circonstance, elle avait sélectionné certains de ses textes, certains de Michel Block, de Jean Alexandre ou des miens, pour faire écho à la visite guidée de l’abbatiale qu’elle venait de nous offrir. Elle a ainsi fait découvrir les textes des uns et des autres en les reliant aux thématiques du silence, du regard, du refuge, du souffle, etc. à travers une lecture sensible et très personnelle. Le public était captivé.
La poésie s’est alors inscrite dans un ensemble artistique très riche, car nos lectures se sont déroulées face aux tableaux exposés d’Éliane Karakaya, sur le thème de la lutte de Jacob avec l’ange, et elles ont été suivies par les répétitions, puis le concert d’un chœur d’hommes, « Pluricanto », interprétant cantiques et musiques sacrées. Ce fut vraiment une grâce de se sentir enchâssées dans ce réseau d’art et d’amitié. La poésie s’est ainsi répandue, au pied des collines de Rosheim, escaladées par les vignobles alsaciens.
Le réseau d’amis s’est aussi déplacé de nouveau à Strasbourg, l’après-midi du dimanche 9 juillet, élargi à des personnes informées du programme culturel de la paroisse du Temple Neuf et de notre accueil parmi ses rendez-vous de l’été. L’éventail des textes était, là, plus resserré, de manière à pouvoir entrer plus en profondeur dans l’univers de chaque poète. Nous nous sommes donc concentrées sur le recueil en préparation de Lucie Wateau, Engranger le fertile, sur le recueil de Michel Block, Périchorèse et sur le mien, Frère de silence. Le pianiste Rémi Zeller nous a accompagnées avec des improvisations très justes, reprenant la douceur de certains textes, exprimant le poids lancinant du silence ou l’allégresse causée par la perception des réponses de Dieu. Son final éblouissant a transporté le public d’enthousiasme.
Puis un dialogue s’est engagé, révélant l’intérêt éprouvé par les personnes présentes et la nécessité d’un partage sur ces questions de la foi. Une jeune dame a demandé timidement à Lucie Wateau comment elle imaginait Dieu et ensuite nous avons assez longuement parlé ensemble ; l’artiste plasticien, Makis Yalenos, a signalé une convergence entre sa recherche sur la traversée de la douleur et l’œuvre de Lucie, et il a souligné l’importance de tels moments d’expression poétique. Plusieurs personnes dans le public ont mis en relief certains aspects complémentaires du court texte de Michel Block :
L’une d’entre elles y a particulièrement entendu le désenchantement de Michel Block par rapport à l’humain, avec cette expression finale donnant une vision très sombre de « ce monde de nuit entière », tandis qu’une autre a retenu l’image de ce souffle parcourant l’espace. Ce fut une occasion d’évoquer cette articulation de la pensée chrétienne, dans laquelle la grâce de Dieu répare les faiblesses humaines.
Un public d’une quinzaine de personnes, puis d’une vingtaine au Temple Neuf, à la fois suffisamment limité pour que puissent s’instaurer des échanges dans une intimité chaleureuse et en même temps assez étoffé pour que les poètes et le pianiste se sentent portés par une écoute multiple, s’est donc réuni dans une atmosphère de grande sympathie, ainsi que d’appétence des mots et des silences, appelant de ses vœux des prolongements à donner à ces Est’ivales !